Revue européenne | 21 septembre 2021
Etat de l'Union 2021 • élections en Allemagne • stratégie indo-pacifique • HERA
Bonjour et bienvenue dans la Revue européenne du mardi, un condensé de l’actualité utile de la semaine. Bonne lecture !
ÉTAT DE L’UNION • Notre éclairage
Le 15 septembre, la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, a prononcé devant le Parlement européen à Strasbourg, son discours sur l’État de l’Union (#SOTEU pour les geeks) qui fixe les priorités pour l’action de l’UE en Europe et dans le monde.
Il s’agit du deuxième discours sur l'état de l’Union qu’elle prononce depuis son élection en 2019 à la tête de l’Exécutif européen. Particulièrement attendu à l’issue d’une année marquante (crise Covid, mutualisation inédite des dettes à travers le Plan de relance européen, affaiblissement du partenariat traditionnel avec les Etats-Unis…), le discours de la Présidente a mêlé symboles et annonces politiques pour convaincre avec succès son auditoire.
Dans son discours fleuve d’une heure, prononcé en trois langues (anglais, français et allemand), Ursula von der Leyen a voulu montrer son ambition pour l’UE. Parmi les initiatives phares:
Sortie de pandémie : la Présidente a annoncé que la sortie de crise était bien entamée, avec plus de 70% d’Européens majeurs vaccinés, la solidarité vaccinale avec les pays en difficulté et le lancement d’HERA (dont nous parlons plus bas)
Transition écologique : Ursula von der Leyen rappelle le lancement du Green Deal et de Fit for 55, l'objectif d'une réduction des émissions de gaz à effet de serre d'au moins 55% d'ici 2030
Autonomie stratégique : pour gagner en autonomie stratégique, l'objectif de l'UE est de créer un "écosystème européen des semi-conducteurs à la pointe du progrès, intégrant la production". La Commission présentera cette année une législation (European Chips Act) pour faire de l'UE l'un des leaders mondiaux des puces numériques
Budget : le sujet cristallise les tensions entre les “Frugaux” et le “Club Med”, la présidente de la Commission a donc décidé d’ouvrir un débat sur la réforme du pacte de stabilité et de croissance, qui limite les déficits publics à 3% et la dette à 60% du produit intérieur brut (PIB), et qui a été suspendu à cause de la crise.
“Global Gateway” : cette stratégie de “connectivité” vise à concurrencer le projet chinois de “Nouvelles routes de la soie” (on vous en dit plus dans la section Diplo ci-dessous)
Défense : pour donner un coup de pouce au secteur, la Présidente propose une exonération de TVA pour les achats d'équipements de défense développés et produits en Europe.
État de droit : protection des journalistes et lutte contre les violences faites aux femmes
Pour aller plus loin, Georg Riekeles (European Policy Centre) propose plusieurs pistes de réflexion, essentiellement institutionnelles pour les trois années à venir. En particulier il invite à repenser la coopération interinstitutionnelle sur les grands projets de transformation de l'UE (dont le Green Deal et la transition numérique) et de poursuivre l'expérimentation du modèle de task force, qui s'appuie sur la double direction d'un homme politique et d'un fonctionnaire de haut niveau pour réaliser une mission spécifique.
ÉLECTIONS • les Allemands votent dimanche
Tour d’horizon des programmes européens des trois principaux candidats selon les derniers sondages : Olaf Scholz (SPD), Armin Laschet (CDU/CSU) et Annelena Baerbock (Grünen).
Intentions européennes : les programmes des trois candidats sont pro-Europe : “avec passion pour une Europe forte” (CDU/CSU), “nous continuerons de construire l’Europe” (Grünen) et “une Europe souveraine dans le monde” (SPD).
Politique étrangère : comme traditionnellement en Allemagne, les programmes des trois principaux candidats prévoient une mutualisation de la politique étrangère européenne : projets d’armée européenne et siège unique de l’UE au sein du Conseil de sécurité de l’ONU, au détriment du siège français.
Money Talk : enfin, les trois candidats envisagent le maintien d’un Pacte de stabilité et de croissance réformé, sujet qui devrait occuper les discussions européennes en sortie de crise économique. Selon le FT, Paris manœuvre déjà pour éviter que l’Allemagne ne revienne à une orthodoxie budgétaire, après la décision historique de la Chancelière d’accepter la mutualisation d’une dette Covid au niveau européen. Les déclarations assez orthodoxes d’Olaf Scholz, destinées à rassurer l’électorat allemand, nous rappellent globalement qu’en matière budgétaire, la nationalité compte presque autant que le parti politique.
Les différences : en matière de politique commerciale, les Verts et dans une moindre mesure le SPD se distinguent de la CDU/CSU en conditionnant la signature de nouveaux accords commerciaux au respect d’exigences environnementales.
DIPLO • stratégie indo-pacifique et sous-marins
La première Stratégie de l’UE pour la coopération dans la région indo-pacifique présentée conjointement le 16 septembre par la Commission européenne et le Service européen d’action extérieure (SEAE) coïncide avec l’annulation de la commande des 12 sous-marins français par l’Australie et la formation d’un axe anglo-saxon — AUKUS — associant Canberra, Londres et Washington face à la montée de la Chine.
FIRE AND FURY • La réaction outrée des responsables français est soutenue à Berlin comme à Bruxelles. Les négociations commerciales en cours avec l’Australie pourraient être fortement compromises par cet accroc diplomatique, selon Clément Beaune, le secrétaire d’État aux affaires européennes. On voit mal Bruxelles continuer le business as usual au nez et à la barbe de Paris.
LA STRATÉGIE INDO-PACIFIQUE DE L’UE • La Stratégie indo-pacifique provient de la pression mise par des États membres, le Conseil ayant exigé en avril que la Commission et le SEAE définissent une stratégie d’ici septembre.
En 2019, la France avait publié sa Stratégie de défense française en Indopacifique, dans laquelle elle rappelait que « la France est une nation souveraine de l’Indopacifique » et qu’elle « entend pleinement endosser son rôle de puissance régionale, afin de protéger ses intérêts souverains, d’assurer la sécurité de ses citoyens et de contribuer activement à la stabilité ». L’Allemagne et les Pays-Bas ont aussi défini des stratégies pour la zone indopacifique.
L’UE comprend la notion d’Indopacifique de façon extensive, « comme une vaste zone qui s’étend de la côte Est de l’Afrique aux États insulaires du Pacifique ». Une vision plus restrictive de l’Indopacifique se concentre sur « l’Asie-Pacifique » — à l’image du Quad qui rassemble l’Inde, le Japon et l’Australie autour de Washington.
AMBITIONS EUROPÉENNES — L’UE voudrait conclure plus d’accords commerciaux avec des pays (Australie, Nouvelle-Zélande, Indonésie) et des régions (ASEAN, Communauté économique d’Afrique de l’Est). Elle cherche aussi à sécuriser ses chaînes d’approvisionnement et à promouvoir son “agenda positif” : huile de palme et gestion de la pêche durable, lutte contre la pollution, respect du droit international, etc.
Au niveau de la défense et de la sécurité, l’UE veut s’affirmer comme « pourvoyeur de sécurité maritime » notamment via la « diplomatie navale européenne ». Au programme : exercices conjoints, accords d’escales portuaires, exercices multilatéraux, insertion d’attachés de défense dans les délégations de l’UE, lutte contre la piraterie et protection de la liberté de navigation. L’opération anti-piraterie Atalante en Somalie depuis 2008 attestant de l’efficacité de l’UE sur ce plan.
GLOBAL GATEWAY • L’autre grand programme est celui des “Agendas de la connectivité”, rebaptisés “Global Gateway” lors du discours sur l'État de l’Union, pour « créer des liens, pas des dépendances ». Il s’agirait de concurrencer les Routes de la soie de Pékin en finançant des infrastructures auprès des “partenaires et des organisations régionales en Afrique de l’Est et dans l’océan Indien occidental”. Notons que cette nouvelle appellation est absente de la stratégie sur l’Indopacifique.
What’s next ? — Josep Borrell affirmait en juin que « notre objectif n’est pas d’encourager l’émergence de blocs rivaux ou de forcer les pays à prendre parti. En revanche, nous sommes déterminés à approfondir notre coopération avec des partenaires démocratiques qui partagent les mêmes idées”.
Les contours du nouveau partenariat ouvert et inclusif sont encore flous, à l’image de la notion-même d’Indopacifique. Avec le “coup dans le dos” infligé à la France, laissée hors de la nouvelle alliance AUKUS, il faudra voir comment la France et les États membres souhaitant une stratégie ambitieuse vont accueillir cette communication conjointe. D’autant plus que les États membres considèrent encore la zone avec un niveau d’intérêt variable comme le souligne le European Council on Foreign Relations.
La stratégie manque encore de propositions concrètes, notamment pour valoriser les territoires d’outre-mer de la France. Avant de faire émerger une troisième voie entre Pékin et Washington dans la zone Indopacifique, la route est encore longue.
SANTÉ • HERA, un BARDA européen revu à la baisse
La Commission européenne a instauré jeudi 17 septembre l’Autorité européenne de préparation et de réaction aux urgences sanitaires (HERA).
Cette nouvelle au sein de la Commission sera dotée d’un budget propre de 6 milliards d’euros pour la période 2022-2027 et aura pour objectif d’améliorer la préparation et la réaction de l’Union face aux situations d’urgence sanitaire.
OBJECTIFS • L’entité devrait répondre aux enjeux auxquels a dû faire face l’UE lors de la pandémie de Covid-19 : disponibilité d’équipements de protection individuelle, accessibilité au matériel médical et paramédical et coordination entre les États membres au début de la crise. Elle aura pour mission d’évaluer les menaces sanitaires, de collecter des informations et de développer des outils d’analyses permettant d’anticiper de potentielles épidémies.
L’HERA doit aussi permettre de favoriser la recherche et l’innovation en soutenant les essais cliniques de nouveaux médicaments, vaccins ou thérapies. Elle aura également pour but de répondre aux problèmes liés à la production, l’approvisionnement et au stockage de matériel et de produits médicaux ou paramédicaux.
En temps de crise, cet organe sera chargé de coordonner la réponse des 27, mettre en œuvre des mesures d’urgence, développer et assurer l’approvisionnement et l’accessibilité aux contre-mesures médicales.
RENFORCER SANS FROISSER • La création de cette unité au sein de la Commission revoit néanmoins à la baisse les ambitions de doter l’UE d’une agence de recherche et de développement biomédicaux comme évoquée par la Présidente de la Commission lors du SOTEU 2020.
Certains déplorent ainsi le manque d’indépendance de cette nouvelle autorité et son incapacité à formuler des recommandations non-contraignantes comme le fait l’Agence Européenne du Médicament. D’autres soulignent également l’absence de concertation avec le Parlement au cours du processus de négociation, bien que ce dernier soit moteur dans le renforcement du rôle de l’UE en matière de préparation et réactions aux crises sanitaires.
Cette situation met ainsi en évidence la difficulté pour la Commission de créer une Union Européenne de la Santé sans bénéficier de compétences exclusives dans ce domaine. La consolidation d’une UE de la Santé sera néanmoins nécessaire pour renforcer la résilience des systèmes de santé européens face aux menaces épidémiques et la cohérence de leurs réponses et réactions lors de futures crises.
A savoir
TRANSAT • Les États-Unis ont annoncé ce lundi l’ouverture prochaine — en novembre — de ses frontières aux voyageurs européens vaccinés. Le travel ban qui frappent les Européens est en vigueur depuis mars 2020.
Merci à Nathan Munch, Marceau Ferrand, Antoine Corporandy, Pierre Pinhas, Agnès de Fortanier et Thomas Harbor pour la rédaction de cette édition.