L’UE s’attaque au travail forcé
Mais aussi — Liberté de la presse, Supply Chains, SOTEU, Hongrie, Concurrence, Énergie
Bonjour et bienvenue dans la Revue européenne, votre condensé d’actualité européenne utile. Ne gardez pas cette newsletter pour vous, partagez la à vos collègues et amis !
Lex — Travail forcé ; Instrument d'urgence pour le marché unique ; Liberté des médias
C'est une période chargée pour les annonces législatives. Ces derniers jours, la Commission européenne a dévoilé des propositions législatives sur le travail forcé, les nouveaux pouvoirs d'intervention en cas de crise dans les chaînes d'approvisionnement et sur la liberté des médias.
TRAVAIL FORCÉ • La Commission a publié une proposition visant à interdire du marché de l'UE les produits issus du travail forcé. Si l'interdiction s'applique à tous les produits quelle que soit leur origine géographique, la Chine est évidemment en ligne de mire.
Selon l'Organisation internationale du travail (OIT), 28 millions de personnes sont soumises au travail forcé dans le monde, et ce chiffre est en augmentation. "Cette proposition fera une réelle différence dans la lutte contre l'esclavage moderne (...). Notre objectif est d'éliminer du marché de l'UE tous les produits issus du travail forcé, quel que soit le lieu où ils ont été fabriqués", a déclaré Valdis Dombrovskis, commissaire européen chargé du commerce.
Un premier examen permettra de déterminer s'il existe des raisons sérieuses de croire que certains produits ont été fabriqués dans le cadre de travail forcé. Pour les produits à risque, les opérateurs économiques seront examinés de près, tout au long de la chaîne de valeur. S’il est avéré qu’une entreprise a recours à du travail forcé, ses produits seront retirés du marché européen et leur importation sera interdite.
"China is in the air, but of course, we have forced labour in other countries as well”, a déclaré l'eurodéputé S&D Bernd Lange, rapporteur d'une résolution sur la question en juin 2022. Cette approche diffère de la loi américaine sur la prévention du travail forcé des Ouïghours, qui vise explicitement le traitement des minorités du Xinjiang par la Chine en interdisant tout produit fabriqué "entièrement ou en partie" dans la région.
Avant son entrée en vigueur, la proposition devra être examinée par le Parlement européen et le Conseil. La Commission prévoit que la législation sera appliquée deux ans après son entrée en vigueur — un délai qui pourrait susciter des crispations au Parlement.
SUPPLY CHAINS • L'UE veut mettre les supply chains européennes à l'abri des crises d'approvisionnement déclenchées par des événements inattendus tels que le Covid-19 ou la guerre en Ukraine.
En période exceptionnelle, l'Instrument d'urgence du marché unique pour les situations d’urgence (Single Market Emergency Instrument) donnerait à la Commission le pouvoir d'exiger le stockage de produits stratégiques, d'interdire certaines restrictions unilatérales au sein du marché intérieur de l'UE – telles que les interdictions d'exportation – et de donner une priorité aux biens essentiels sur les biens non essentiels dans les procédures de passation de marchés publics. En dehors des périodes de crise, les entreprises devront rendre compte à la Commission européenne de leurs niveaux d'approvisionnement en biens stratégiques essentiels.
LIBERTÉ DES MÉDIAS • Enfin, la Commission européenne a présenté la législation européenne sur la liberté des médias (European Media Freedom Act), un nouvel ensemble de règles horizontales visant à "protéger le pluralisme et l'indépendance des médias dans l'UE".
Entre autres choses, cette proposition exigerait des États membres qu'ils "respectent la liberté éditoriale effective des fournisseurs de services de médias", notamment en rendant publiques des informations sur l’actionnariat effectif des groupes de presse. Les médias publics seront surveillés de près par l’exécutif européen, qui souhaite préserver le pluralisme dans des pays tels que la Hongrie et la Pologne. Un Comité européen pour les services de médias, composé des autorités nationales chargées des médias, contribuera à l'élaboration de lignes directrices sur la manière d'appliquer ces règles.
La législation vise également à s'attaquer à la question des concentrations dans le secteur. Le Comité nouvellement créé émettra des avis sur les projets de concentrations. Ce nouveau texte est dévoilé alors que les deux plus grands radiodiffuseurs français, TF1 et M6, ont abandonné leur projet de fusion qui aurait donné à l'entité combinée une part de marché de 75 % dans la publicité télévisée.
The Buda Saga — les cordons de la Bourse
La guerre juridique entre la Hongrie et la Commission européenne au sujet de l’état de droit s'est intensifiée la semaine dernière. Dimanche 18 septembre, l'exécutif européen a proposé au Conseil de retenir 7,5 milliards d'euros de fonds de cohésion européens, en raison de violations répétées de l’état de droit.
NO MONEY FOR PHONEYS • La décision de la Commission s'inscrit dans le cadre du Règlement sur la conditionnalité, qui permet à l'UE de retenir des fonds lorsqu'elle craint que leur utilisation ne soit contraire aux valeurs de l'UE et qu’elle mette en péril le budget de l'Union. Le mécanisme de conditionnalité est né en 2020 de l'inquiétude croissante des États membres de voir les fonds européens – y compris ceux du plan de relance européen de 2020 – enrichir des proches de dirigeants tels que Viktor Orban.
Le mécanisme a été déclenché pour la première fois en avril 2022 à l'encontre de la Hongrie. Depuis, le gouvernement de Victor Orbán et la Commission négocient des options pour apaiser les craintes de Bruxelles concernant les mauvaises pratiques de la Hongrie en matière de marchés publics et de liberté de la presse. La Commission attend désormais de Budapest qu'elle prenne de nouveaux engagements afin de rentrer dans les clous.
Le versement de 7,5 milliards d'euros représente environ un tiers des fonds de cohésion destinés à la Hongrie. Des subventions supplémentaires d'un montant de 7 milliards d'euros, et des milliards de prêts supplémentaires, au titre du fonds de relance Covid-19 de l'Union européenne, pourraient également être retenues à la source si la Hongrie ne règle pas les problèmes d'État de droit, a déclaré la Commission.
PARLEMENT EUROPÉEN • La proposition de la Commission fait suite à la condamnation par le Parlement européen des "efforts délibérés et systématiques du gouvernement hongrois" pour saper les valeurs européennes. Réunis à Strasbourg la semaine dernière, les députés européens ont qualifié la Hongrie de "régime hybride d'autocratie électorale" et ont déploré que l'absence d'action décisive de la part des institutions européennes ait contribué à "l'effondrement de la démocratie" dans ce pays de près de 10 millions d'habitants.
La rapporteure de la motion, Gwendoline Delbos-Corfield (EELV), l’explique sans ambages: "la Hongrie n'est pas une démocratie", qualifiant le rapport de "signal d'alarme pour le Conseil et la Commission".
WHAT NEXT • Le Conseil, à l'exclusion de la Hongrie, doit maintenant décider dans le mois qui vient d'adopter ou non les mesures proposées par la Commission. La Hongrie s'est engagée à mettre en œuvre les changements nécessaires et à en informer la Commission d'ici le 19 novembre.
Trustbusters — Google Android ; Maggie aux États-Unis
ANDROID • Le Tribunal de l'UE a "largement confirmé" l'amende infligée par la Commission à Google dans l'affaire Google Android. Le mastodonte du numérique a fait appel de l'amende de 4,34 milliards d'euros infligée par le gendarme européen la concurrence en 2018, qui a été baissée à (seulement) 4,125 milliards par le Tribunal de l’UE le 14 septembre.
La Commission européenne a infligé une amende à Google pour "avoir abusé de sa position dominante en imposant des restrictions contractuelles anticoncurrentielles aux fabricants d'appareils mobiles et aux réseaux mobiles" afin de favoriser ses propres moteurs de recherche et services autres.
Cette affaire constitue indéniablement une victoire pour la DG concurrence, dont l'amende de 2,42 milliards d'euros dans l'affaire Google Shopping a été également confirmée par le Tribunal. Google a annoncé qu'il ferait appel de la décision devant la Cour de justice de l'UE (CJUE), comme le rapporte le FT.
MAGGIE IN THE STATES • Margrethe Vestager, le shérif de la concurrence de l'UE, était à Fordham, dans l'État de New York, pour prononcer un discours lors de la 49th annual conference on international antitrust law and policy.
Elle a salué la décision du Tribunal de confirmer la décision de la Commission dans l'affaire Google Android : "Il s'agit d'une affaire très importante pour le secteur, qui créera des précédents pour notre travail à venir" (notre trad.).
Elle a également fait le point sur les engagements proposés par Amazon pour s'abstenir d'utiliser les données de tiers pour favoriser ses propres services et sur les biais intégrés dans la Buy Box et Amazon Prime.
Son discours sur "les ententes et abus de position dominante à l'ère numérique" a abordé le rôle croissant des données, de l'interopérabilité et de l'accès dans les affaires d'ententes et d'abus de position dominante :
"Dans la plupart des secteurs, le rôle des données et de l'accès à ces données va devenir plus omniprésent. Ne vous méprenez pas : c'est une bonne chose. L'efficacité profite aux consommateurs, après tout. Mais sur les marchés concentrés, ou sur les marchés où certaines entreprises sont capables d'amasser d'énormes quantités de données, des problèmes de concurrence peuvent se poser."
Concernant le Digital Markets Act, elle a insisté sur le fait qu’il : "ne remplacera pas l'application de la législation antitrust. Il s'agit d'un nouvel outil important dans notre boîte à outils, qui nous permet de disposer des bons instruments pour intervenir au stade le plus approprié du cycle – qu'il s'agisse du contrôle des concentrations, de l'application de la loi sur les marchés numériques ou d'une action antitrust au titre de l'article 101 ou 102.”
Speech — le SOTEU de Von der Leyen
Le 14 septembre, Ursula von der Leyen a pris la parole devant le Parlement européen pour prononcer le discours annuel sur l'état de l'Union, ou State of the European Union (SOTEU). Dans son discours, la présidente de la Commission a tenté de fixer un cap pour sortir de la crise énergétique, de réaffirmer le soutien de l'Union à l'Ukraine dans la guerre contre la Russie et de marteler la mission de la Commission de protéger l'État de droit en Europe.
UKR • La démonstration d'un soutien européen continu à l'Ukraine était au premier plan. La première dame ukrainienne, Olena Zelenska, était l'invitée d'honneur du Parlement, dont les membres lui ont réservé une ovation.
NRJ • La présidente a annoncé la création d'une banque publique pour investir 3 milliards d'euros dans l'hydrogène, avec l'objectif d'une production annuelle de dix millions de tonnes d'ici 2030. Une réforme du marché de l'électricité, qui devrait inclure un plafonnement des prix, et la sécurisation de l'énergie par des partenaires fiables ont été mentionnées.
EDD • Dans le contexte des bras de fer en cours entre la Commission et le couple Pologne-Hongrie, la présidente a déclaré que la protection de l'État de droit était le "rôle le plus noble" de sa Commission. Elle a cité comme priorités le maintien de l'indépendance de la justice et la lutte contre la corruption, et a annoncé de nouvelles mesures pour renforcer cette dernière.
Politique — la Suède tourne à droite, l’Italie s’y prépare
En Suède, le parti d'extrême droite des Démocrates de Suède est devenu le deuxième parti du Parlement en obtenant 20,1% des sièges lors des récentes élections. Si cela ne sera pas suffisant pour que l’extrême droite fasse partie du gouvernement en Suède, les récents sondages sur les élections italiennes annoncent l’imminente victoire de la coalition d'extrême droite menée par Giorgia Meloni et son parti les Frères d’Italie.
VICTOIRE À DROITE • Pour la première fois en 8 ans, une coalition de droite va diriger la Suède. La Première ministre de gauche Magdalena Andersson a démissionné jeudi, malgré un bon score pour son parti qui a obtenu 30 % des voix et reste le premier parti du Parlement. L'aile droite du Parlement a remporté l’élection avec une très courte majorité, rendue possible par les Démocrates de Suède, arrivés en deuxième position derrière le parti de l’actuelle première ministre. Le nouveau gouvernement sera dirigé par le député de centre-droit Ulf Kristersson.
BRAS DE FER SUEDOIS • Ces résultats vont permettre aux Démocrates de Suède de faire entendre leur voix durant les négociations à venir sur la formation du nouveau gouvernement. Toutefois, le parti risque de se voir refuser toute nomination au gouvernement, les libéraux s'y opposant déjà formellement. Il est donc probable que la coalition exclue les Démocrates de Suède, s'appuyant ainsi sur une majorité seulement relative au Parlement. Cette élection reste une victoire pour le parti d’extrême droite, qui devrait échanger son soutien sur certains textes contre la promesse de lois plus sévères sur la criminalité et l'immigration.
UNIONE EUROPEA • En Italie, Giorgia Meloni, leader de la coalition d'extrême droite, est en tête de tous les sondages face à la coalition de gauche d'Enrico Letta. Les deux leaders ont récemment affiché des opinions divergentes sur le rôle de l'Union européenne. "If I win, for Europe, the fun is over", a déclaré Meloni lors d'un discours à la Piazza Duomo de Milan. Son rival n'a pas tardé à répondre : "Should the centre-right govern, I fear it would be over for Italy". Alors que Meloni plaide pour une application stricte du principe de subsidiarité, Letta critique sa proximité avec la Pologne et la Hongrie : "In Europe, we want an Italy that counts, not one that protests and vetoes together with Poland and Hungary", a-t-il soutenu. Les élections — qui auront lieu le 25 septembre — seront donc également à scruter avec une lentille européenne.
Energie — le PE soutient les énergies renouvelables et les économies d'énergie
Le 14 septembre, les députés européens ont voté en faveur de l'augmentation de la part des renouvelables à 45 % du mix énergétique total en 2030.
Cette mesure s'inscrit dans le cadre plus large de l'initiative Fit for 55, qui vise à réduire les émissions de GES de 55 % d'ici à 2030. Elle révise la directive sur les énergies renouvelables, non seulement en revoyant à la hausse la part des renouvelables dans le mix énergétique européen, mais également en relevant les ambitions en matière d’économies d'énergie.
Depuis le début de la guerre en Ukraine, les ambitions de l'UE en matière de climat ont pris un aspect géopolitique, notamment avec le plan REPower EU qui vise à assurer l'indépendance de l’UE vis-à-vis du pétrole et gaz russes. "L’indépendance ne sera possible que via l’accroissement de la part des énergies renouvelables.", a déclaré Markus Pieper, rapporteur de la directive sur les énergies renouvelables.
Nos lectures de la semaine
Pour Intelligencer, Benjamin Hart interviewe Doomberg, dont les auteurs critiquent sévèrement les dirigeants européens. Ils les tiennent pour responsables de la succession de décisions politiques dont les résultats, tout à fait prévisibles, ont été désastreux, et conduisent aujourd’hui le continent à affronter la plus grande crise énergétique depuis les années 1970.
Dans un entretien accordé à l'Institut Montaigne, le philosophe Luuk van Middelaar fait part de ses réflexions sur la signification historique de la guerre en Ukraine pour la perception que l'Europe a d'elle-même et de son devenir en tant qu'acteur géopolitique.
Pour l'ECIPE, Matthias Bauer nous rappelle que les initiatives de l'Union visant à renforcer la résilience du bloc au nom de “l'autonomie stratégique" entraînent des coûts à long terme qui doivent être soigneusement soupesés.
Luigi Scazzieri du CER partage son analyse de ce qui peut être attendu d’un gouvernement italien de droite : une approche plus accommodante vis-à-vis de la Russie, plus dure vis-à-vis de l'immigration, et des tensions autour de la politique économique et fiscale. Une stratégie de confrontation ouverte avec Bruxelles et les autres États membres semble peu probable, car les partenaires de la coalition ont largement renoncé à l’euroscepticisme.
Cette édition a été préparée par Gabriel Kobus, Hélène Procoudine-Gorsky, Matteo Gorgoni, Maxence de La Rochère, Brian Donnelly, et Augustin Bourleaud. À la semaine prochaine !
Sanctions, armes, mobilisations, dévastations, annexions, ... on ne parle que de cela. Mais quelles sont les initiatives DIPLOMATIQUES de l'UE pour arrêter le conflit Russie-Ukraine et revenir à une situation de paix et d'équilibre avec les deux belligérants ?