Bonjour et bienvenue dans la Revue européenne du mardi, un condensé d'actualité européenne utile. La revue est désormais disponible en anglais, espagnol, italien, roumain, russe et ukrainien. Bonne lecture 💌
ÉNERGIE • sanctions dans le pipe, de l’eau dans le gaz au niveau européen
LET’S EMBARGO • Suite à l’adoption à l’unanimité par l’UE d’un cinquième paquet de sanctions contre la Russie le 8 avril, la Commission européenne planche sur une proposition d’embargo sur le pétrole et le gaz russes.
L’objectif affiché est de mettre fin à la guerre en quelques semaines — selon l’ancien conseiller économique en chef du président russe, cet embargo pourrait mettre fin à la guerre dans les 8 semaines. Mais l’embargo aurait un coût important pour l’Allemagne, l’Italie, l’Autriche et la Hongrie, qui temporisent les ardeurs européennes. Le chancelier allemand Olaf Scholz a déclaré qu’un embargo sur le gaz provoquerait une pauvreté massive en Europe. Dans la perspective d’un sixième paquet de sanctions, la Commission a publié des lignes directrices techniques à l’intention de 17 pays sur la manière dont ils pourraient réduire leur dépendance au pétrole et au gaz.
ROUBLES CONTRE GAZ • Suite au décret du président Poutine du 31 mars sur l’obligation de payer en roubles des “pays hostiles”, la Commission européenne a averti que le paiement du gaz en roubles pourrait enfreindre les sanctions de l’UE, selon une analyse juridique interne. Dans le cadre de ce système, les entreprises doivent ouvrir des comptes bancaires en euros ou en dollars et en roubles à Gazprombank, qui s’occupe ensuite de l’échange de devises.
La Russie a menacé de couper l’approvisionnement en gaz des entreprises qui ne se conforment pas au décret. Les entreprises énergétiques européennes sont confrontées à une importante insécurité juridique. Elles risquent soit de perdre leur approvisionnement en gaz, soit d’enfreindre les sanctions européennes et donc le droit de l’UE. Le gouvernement néerlandais a déjà recommandé aux compagnies d’énergie de ne pas payer le gaz en roubles — validant ainsi l’analyse juridique de la Commission.
“Nous ne pouvons permettre aucun contournement des sanctions par des portes dérobées” (notre trad.), a déclaré à POLITICO le ministre de l’économie allemand, Robert Habeck, tout en n’indiquant pas ce que le gouvernement allemand pensait de l’analyse juridique du décret par la Commission européenne.
NOUVEAUX FOURNISSEURS • La diversification des approvisionnements en gaz est “possible et faisable”, a déclaré le Premier ministre italien Mario Draghi dans une interview au Corriere della Sera. Eni, une super major italienne, a signé un accord avec le groupe algérien Sonatrach pour importer 9 milliards de mètres cubes supplémentaires de gaz d’ici 2024.
Israël voit également une opportunité dans la situation actuelle. Le ministre israélien des affaires étrangères, Yari Kapid, a affirmé la nécessité pour l’UE de reconsidérer sa politique énergétique au Moyen-Orient. Israël a confirmé que son offre excédentaire pourrait être importée par des pipelines qui n’ont pas encore été construits à travers la Turquie et la Grèce, ou liquéfiée et expédiée d’Égypte.
BCE • Francfort laisse les taux inchangés
La Banque centrale européenne (BCE) a annoncé le 14 avril qu’elle ne modifierait pas sa politique dans un contexte d’inflation élevée tirée par les prix de l’énergie. De nombreux analystes s’attendaient à ce que l’institution de Francfort adopte une position plus ferme.
TAUX • “Le taux d’intérêt des opérations principales de refinancement ainsi que ceux de la facilité de prêt marginal et de la facilité de dépôt demeureront inchangés, à respectivement 0,00 %, 0,25 % et -0,50 %.”, indique le communiqué de presse. Le programme d’achat d’actifs (APP) prendra également fin au troisième trimestre de 2022, comme prévu.
DILEMME • Le conseil des gouverneurs de la BCE tente de trouver un moyen de lutter contre la flambée de l’inflation et de soutenir en même temps une économie européenne frappée par la guerre. L’inflation a atteint 7,5% en mars 2022 dans la zone euro, selon les données d’Eurostat. La Banque d’Angleterre et la Réserve fédérale américaine ont toutes deux commencé à augmenter les taux d’intérêt, faisant de la BCE la seule banque centrale à ne pas suivre ce mouvement.
EURO EN BAISSE • Les marchés financiers ont montré des signes d’agitation à la suite de la décision de la BCE. L’euro a plongé à son plus bas niveau depuis deux ans par rapport au dollar, à 1 076 dollars pour un euro. Le Bund allemand à 30 ans s’est négocié pour la première fois depuis 2018 au-dessus de 0%, à un peu moins de 1%.
PI • protéger les produits artisanaux et industriels locaux
Le 13 avril, la Commission a proposé un tout premier cadre visant à protéger la propriété intellectuelle des produits artisanaux et industriels locaux qui reposent sur les pratiques traditionnelles.
EXPLICATION • Ce cadre étendrait l’utilisation des indications géographiques (IG) — des signes indiquant qu’un produit présente des qualités spécifiques en raison de son lieu d’origine — aux produits artisanaux et industriels. La proposition s’inscrit dans la logique plan d’action 2020 en matière de propriété intellectuelle, dans lequel la Commission avait déjà envisagé l’extension des indications géographiques à ces produits.
POTERIE & PORCELAINE • Le cadre vise à étendre l’application des IG à des produits tels que la porcelaine de Limoges, la poterie boleslawiec, le tweed de Donegal, les couverts de Solingen et le verre de Murano – 800 produits au total. Il s’inspire du système d’IG pour les produits agricoles, les denrées alimentaires et les vins et spiritueux : “L'Europe a un héritage exceptionnel de produits artisanaux et industriels de renommée mondiale. Il est temps que les producteurs de ce secteur bénéficient d'un nouveau droit de propriété intellectuelle, tel qu'il existe pour les producteurs de denrées alimentaires et de vin”, a déclaré Thierry Breton, commissaire chargé du marché intérieur.
CONTEXTE • Aujourd’hui, il n’existe pas de protection à l’échelle de l’UE qui relie l’origine, la qualité et la réputation des produits industriels et artisanaux — les producteurs doivent demander une protection nationale dans les États membres. Cependant, le processus peut s’avérer très coûteux et le niveau de protection accordé dépend fortement de la législation nationale. En outre, l’absence d’un système à l’échelle de l’UE empêche les producteurs de bénéficier d’une protection complète au niveau international.
FONCTIONNEMENT • Dans un premier temps, les producteurs soumettraient une demande aux autorités des États membres, qui sera évaluée et soumise à l’Office de l’Union européenne pour la propriété intellectuelle (EUIPO) si elle est validée. Dans un second temps, l’EUIPO validerait ou non la protection. En cas d’octroi, l’Office serait chargée d’enregistrer le produit au niveau de l’UE et effectuerait les procédures de protection auprès de pays tiers. Une formule d’inscription directe existerait parallèlement.
EFFETS VISÉS • Selon la Commission, de très nombreux bénéfices pourraient résulter du système. Celui-ci garantirait principalement une concurrence loyale en luttant contre les produits contrefaits au sein de l’UE mais aussi au niveau international : l’UE étant signataire de l’Organisation de la propriété intellectuelle, les producteurs européens pourraient demander une protection dans les pays signataires en dehors de l’UE. Le système permettrait également d’adopter des dispositions plus ambitieuses en matière d’IG dans les accords commerciaux bilatéraux. Au sein de l’UE, le nouveau règlement favoriserait le développement économique des zones rurales et inciterait les producteurs et les PME à investir dans des produits authentiques. La protection des emplois et savoir-faire ainsi que la reprise économique des régions moins développées sont également des sujets centraux dans la proposition de la Commission.
TECH • la liste des plaignants s’allonge contre Microsoft dans le cloud
Le fournisseur italien de services cloud Aruba et la communauté danoise du cloud basée à Copenhague se sont joints à la plainte déposée contre Microsoft par Français fournisseur de cloud OVH, selon Bloomberg. La plainte a été déposée il y a un an, mais a été rendue publique sur le Wall Street Journal il y a un mois.
CONTEXTO • La plainte faisait suite à d’autres plaintes dans le même secteur concernant une violation présumée des règles antitrust de la part de la société américaine. La couverture médiatique récente ne nous éclaire pas plus sur le fond de l’affaire mais nous montre l’ampleur des dommages (allégués) subis par les entreprises européennes du cloud.
UN MARCHÉ CONCURRENTIEL • Le marché des services cloud est à la fois concurrentiel et stratégique. Cependant, Microsoft est à la traîne derrière AWS d’Amazon, suivi de près par Google Cloud. D’ailleurs, les parts de marché n’ont pas évolué de manière significative en faveur de Microsoft ou d’un autre fournisseur, en l’absence d’“effets de réseaux”.
EFFET DE RESEAU • L’effet de réseau est le “phénomène par lequel l'utilité d’un service ou d'un produit dépend de la quantité de ses utilisateurs” ; pour le cloud, la qualité du service ne dépend pas du nombre d’utilisateurs.
En réponse à la consultation de la Commission sur la loi sur les marchés numériques, les autorités nationales de la concurrence ont constaté que les effets de réseau étaient un facteur extrêmement important dans l’évaluation du pouvoir des marchés numériques. En outre, la Commission aide les entreprises à développer leur infrastructure cloud grâce à la norme Gaia-X, une présence sur le marché qui limite de fait les comportements répréhensibles.
DMA TODAY • Les réunions de trilogue du mois dernier ont abouti à un accord sur le texte final de la loi sur les marchés numériques (DMA). La législation s’appliquera notamment à la fourniture de services cloud.
Nos lectures de la semaine
Un rapport de Artem Remizov pour le CEPS préconise d'accorder à l'Ukraine le statut de candidat à l'adhésion à l'UE. Les auteurs appellent à une révision du processus d'adhésion, qui aurait pour priorité le renforcement des incitations aux réformes de fond.
Theodore Murphy, de l'ECFR, exhorte l'Europe à aider les pays africains à surmonter la crise alimentaire déclenchée par le conflit en Ukraine, afin d'éviter une répétition du scénario de la crise du Covid, qui avait vu la Russie déployer avec succès une diplomatie vaccinale, alors que l’Europe peinait à faire valoir ses propres contributions.
Cécile Maisonneuve et Benjamin Fremaux, de l'Institut Montaigne, plaident en faveur d’une stratégie européenne pour l’énergie nucléaire.
L'avenir de la Grèce reste sombre, nous rappelle Adam Tooze. L'Europe ne peut pas échapper à sa responsabilité d'aider le pays à se reconstruire.
Dans un entretien avec Clément Fontanarava du Grand Continent portant sur son livre La démocratie communautaire. Généalogie critique de l'Union européenne, Aliénor Ballangé revient sur les multiples imaginaires politiques qui ont précédé et influencé la formation de l’Union Européenne.
Nos remerciements aux rédacteurs de cette édition : Gabriel Papeians de Morchoven (welcome!) Augustin Bourleaud, Giulio Preti, Gaëtan du Peloux, Maxence de La Rochère, Agnès de Fortanier et Thomas Harbor. Rendez-vous mardi prochain !
*Les articles n’ont pas d’auteurs individuels, les opinions exprimées dans cette publication ne reflètent pas les opinions personnelles des personnes créditées.