Revue européenne | 16 novembre 2021
Biélorussie • Google Shopping • COP26 • Transat • BCE • Brexit
Bonjour et bienvenue dans la Revue européenne du mardi, un condensé de l’actualité utile de la semaine. Bonne lecture !
DIPLO • Biélorussie, agression “hybride”
Les tensions à la frontière entre la Pologne et la Biélorussie ont franchi un nouveau cap. Le Conseil s’est mis d’accord ce lundi pour élargir les sanctions contre la Biélorussie (communiqué).
Il s’agit d’un test d’ampleur pour la diplomatie européenne, alors que le draft de la boussole stratégique de l’UE — document stratégique pour la politique étrangère de l’UE — est également présenté ce lundi par l’UE (communiqué).
HISTORIQUE • Depuis juin, la Biélorussie achemine des migrants issus de pays en crise du Moyen-Orient — Irak, Syrie et Afghanistan — pour les faire passer en Pologne, en Lettonie et en Lituanie. Cette agression “hybride” exploite les failles et les divisions au sein de l’Union européenne, après l’interception par Minsk d’un vol Ryanair transportant un opposant au régime.
LA DÉSUNION EUROPÉENNE • “Créée de toute pièce” par Loukachenko (The Atlantic), cette crise est révélatrice des divisions internes de l’UE sur de nombreux plans.
La crise des migrants en 2015 avait déjà mis à nu les dysfonctionnements de la politique migratoire et d’asile et souligné l’absence de solidarité dans la répartition des flux, notamment face à la politique du “zéro réfugié” revendiquée par certains pays comme la Hongrie.
L’énergie est également un levier — dont l'efficacité s’est accrue avec la hausse des prix de l’énergie et les divergences autour de la transition écologique dans le cadre du Green Deal. Loukachenko a ainsi menacé le 11 novembre de fermer le gazoduc Yamal-Europe qui achemine du gaz russe vers la Pologne et l’Allemagne via la Biélorussie (FT).
ATTAQUES HYBRIDES • Les dissensions entre Bruxelles et des États membres (Pologne, Hongrie) autour de la conditionnalité des aides du plan de relance Next Generation EU au respect de l’état de droit nuisent à l’élaboration d’une politique concertée alors que l’UE fait face à l’agressivité de puissances usant d’un sharp power qui allie manipulation de l’information — propagande, désinformation — et moyens non-conventionnels.
MURS, SANCTIONS, ET GARDES FRONTIÈRES • Alors que la crise humanitaire s’aggrave — une dizaine de morts est déjà à déplorer — l’UE reste divisée sur le sort à réserver aux milliers de migrants bloqués à la frontière.
L’UE apporte son soutien à la Pologne, bien que celle-ci ait refusé l’intervention des gardes-frontières de l’agence Frontex. Des désaccords ont également émergé autour du financement de murs et de barbelés dans les pays frontaliers par l’UE — le Président du Conseil européen, Charles Michel, s’étant finalement prononcé en faveur d’un financement européen.
Le 12 novembre, l’UE est parvenue à interdire des vols à destination de Minsk depuis la Turquie et les Émirats Arabes Unis afin de tarir l’afflux de nouveaux migrants. L’UE et l’Iraq sont parvenus à un accord similaire ce lundi (FT).
ESCALADE DES TENSIONS • Sous prétexte de répondre à l’agression que constitue le déploiement de milliers de policiers par la Pologne à sa frontière, la Biélorussie a sollicité un « show of force » de son parrain russe, qui a envoyé des bombardiers à capacité nucléaire.
Dans un article, l’adjoint du représentant permanent de la Russie à l’ONU affirme que « s’il y a accumulation de forces militaires à la frontière avec la Biélorussie, nous sommes obligés de réagir », alors même que la Russie masse des troupes à la frontière ukrainienne.
GUERRE FROIDE • La situation ravive la question de la défense de l’Europe notamment le rôle de l’OTAN, dont la prochaine réunion à Riga est prévue le 30 novembre.
De son côté, le Royaume-Uni a souhaité s’ériger en premier partenaire de la Pologne en envoyant des ingénieurs pour construire une barrière et convertir cette crise en opportunité pour sa stratégie de Global Britain post-Brexit. Sa nouvelle Foreign Secretary, Liz Truss, a ainsi appelé dans un éditorial les pays occidentaux à suivre Londres, qui s’imposerait ainsi comme médiateur.
CONCURRENCE • Champagne au Berlaymont après l’arrêt Google Shopping
Nous avons parlé de Google Shopping avec Thibault Schrepel — retrouvez notre entretien complet ici.
Dans un des arrêts les plus attendus de l’année, le Tribunal de l’Union (TUE) a confirmé mercredi dernier l’amende de 2,42 milliards d’euros infligée à Google en 2017 par la Commission — voir ici le communiqué de presse et la décision du TUE. La Commissaire européenne à la concurrence doit s’entretenir demain (17 novembre) avec le PDG de Google, Sundar Pichai.
CONFIRMATION • Le TUE confirme donc l’analyse de la Commission selon laquelle Google a abusé de la position dominante de son moteur de recherche en favorisant son comparateur de produits Google Shopping — dont les résultats étaient positionnés de manière favorable dans des vignettes en haut de page des internautes.
“Google must give equal opportunities to all market players to compete on the basis of their own merit and gain consumers’ trust on an equal footing.”
— Monique Goyens, Director General of European Consumer Organisation (BEUC)
ANALYSE • La décision est la première grande victoire de la Commission Vestager concernant la régulation des géants du numérique, après l'annulation par le Tribunal de sa décision concernant le régime fiscal préférentiel accordé à Apple par l'Irlande. Comme l’explique Thibault Schrepel à What’s up EU, “en écartant Amazon du marché pertinent, l'arrêt vient confirmer la jurisprudence constante” selon laquelle “seuls les substituts sont intégrés, sous entendu, les compléments ne le sont pas”.
“Refuser de prendre en compte la pression concurrentielle exercée par Amazon sur Google Shopping au motif que le business model est différent me semble un peu court. Si Google Shopping proposait effectivement des prix du double de ceux d'Amazon, pour les mêmes produits, il est bien évident que les utilisateurs se reporteraient sur Amazon et autres services concurrents.”
— Thibault Schrepel, dans notre entretien à retrouver ici.
SELF-PREFERENCING • Lorsqu’une entreprise dominante favorise un de ses produits au détriment de ses concurrents — peut constituer un abus de position dominante. Google est dans l’obligation d’assurer une égalité de traitement entre son comparateur de produit et ses concurrents sur celui-ci, ce qu’elle fait depuis 2017 en vendant aux enchères le droit d’apparaître sur lesdites vignettes suite à l’amende de la Commission.
FACILITÉ QUASI-ESSENTIELLE • Le Tribunal estime que le moteur de recherche présente des “caractéristiques le rapprochant d’une facilité essentielle” — c’est-à-dire qu’il n’existe actuellement aucun substitut réel ou potentiel disponible permettant de le remplacer de façon économiquement viable sur le marché. Il découle de cette qualité de “presque facilité essentielle” une obligation de neutralité.
EFFICIENCE • La défense principale de Google était que d’intégrer Google Shopping à son moteur de recherche à travers ces « boxes » constituait une innovation bénéficiant aux consommateurs. Le Tribunal a balayé cet argument d’efficience, en notant le faible effet pro-concurrentiel de l’amélioration et l’absence de difficultés techniques qu’aurait connu Google pour rendre accessible à ses compétiteurs sans discrimination ces boxes.
COMPENSATION • Cet arrêt ouvre la possibilité aux concurrents de demander compensation à Google. Ainsi, non seulement les comparateurs de produits de recherches, tels que Kelkoo, mais aussi les comparateurs de vols, comme Expedia et TripAdvisor, qui s’étaient plaint en 2012 d’un même favoritisme pour Google Flights (Reuters), pourraient initier une telle procédure.
CLIMAT • Désaccords sur la taxonomie verte de l’UE à la COP26
Cinq États membres de l’UE — Allemagne, Luxembourg, Autriche, Portugal et Danemark — ont signé une déclaration commune pour une taxonomie européenne sans énergie nucléaire le 11 novembre, lors d’un événement organisé à Glasgow en parallèle de la COP 26.
TAXO, QUÉSACO? • La taxonomie européenne vise à établir une classification des activités économiques permettant de déterminer celles qui peuvent être considérées comme “durables sur le plan environnemental”. L’objectif est de réorienter les investissements vers les activités favorables à la transition énergétique et écologique.
PEUT-ÊTRE • L’inclusion du nucléaire (et du gaz) dans la taxonomie européenne en tant qu’énergie “verte”, donc marquée positivement pour les investisseurs, est un serpent de mer. Les experts, auxquels la Commission européenne a commandé plusieurs études, sont divisés. La Commission a dès lors en parallèle demandé aux Etats membres de lui faire des propositions.
NON ! • Les signataires de la déclaration commune considèrent que l’énergie nucléaire ne doit pas être incluse dans la taxonomie européenne du fait de sa dangerosité pour l’environnement (Euractiv). À noter que, mise à part l’Allemagne qui fermera ses dernières centrales nucléaires en 2022, aucun des pays de cette coalition ne produit d’énergie nucléaire.
OUI ! • La France mène une coalition de dix États membres qui réclament l’inclusion du nucléaire dans la taxonomie européenne. La tribune commune de cette coalition, publiée le 11 octobre dernier, insiste sur trois arguments principaux.
L’énergie nucléaire est indispensable pour réussir la transition énergétique;
Les énergies renouvelables, tel que l’éolien, sont par nature intermittentes et requièrent en parallèle une source d’énergie permanente, tel que le nucléaire.
Le nucléaire serait également la condition sine qua non pour assurer l’indépendance énergétique de l’UE, avec la production d’énergie peu onéreuse.
SOLUTIONS • La décision finale sur le nucléaire se fera sur la base d’une majorité qualifiée d’États membres, d’où la formation de diverses coalitions sur la question. La solution sera peut être à nouveau franco-allemande — l’Allemagne pousse fortement pour faire intégrer le gaz dans la taxonomie, la France milite désormais pour l’inclusion à la fois du gaz et du nucléaire dans cette nomenclature avec pour objectif affichée de rallier le prochain gouvernement allemand sur la question de l’atome.
COMPROMIS • Au bout du compte, comme proposé entre autre par Pascal Canfin (Renew), la solution de compromis à même de régler cette question serait d’inclure à la fois le nucléaire et le gaz dans la taxonomie européenne non pas comme énergies “vertes” mais “de transition” en vue d’aboutir à une indépendance énergétique basée sur les énergies renouvelables.
TRANSAT • Von der Leyen à Washington, Vestager à Louvain, Breton à Dresde
La présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, a rencontré le Président Biden à Washington lors de son voyage officiel aux États-Unis, du 9 au 11 novembre — communiqué de presse. À Louvain, Margrethe Vestager livrait vendredi dernier un plaidoyer pour la complémentarité avec les États-Unis en matière de supply chains et de semiconducteurs — ce qui n’était pas au goût de Thierry Breton.
UVDL À DC • À Washington, la discussion portait sur les efforts mondiaux pour lutter contre la pandémie de Covid-19, la réaction à la situation critique avec la Biélorussie — qualifiée de “tentative d’un régime autocratique de déstabiliser ses voisins démocratiques” (Statement), de l’intégrité territoriale de l’Ukraine mais aussi du sort du Protocole nord-irlandais, auquel le président Biden est attaché.
URSULA & DUA LIPA • À l’Atlantic Council, où elle recevait un distinguished leader award, aux côtés de la chanteuse Dua Lipa ou des cofondateurs de BioNTech, Ursula von der Leyen a souligné la convergence de valeurs et d’intérêts entre les États-Unis et l’UE, citant pêle-mêle le Global Methane Pledge ou le Trade and Technology Council.
PÉKIN EN LIGNE DE MIRE • Cette entente transatlantique, peu affectée par les foudres d’une France blessée par le partenariat AUKUS, manifeste la politique d’alignement avec Washington, et contre Pékin. Dans le FT, l’ambassadeur chinois auprès de l’UE, Zhang Ming, s’inquiète des conséquences d’un “repli” européen, fustige l’accord UE/USA sur l’acier qui vise les importations d’acier polluant et le Trade and Technology Council.
VESTAGER À LOUVAIN • Vendredi (12 novembre), Margrethe Vestager a insisté sur la complémentarité des États-Unis et de l’UE dans la chaîne de production des puces électroniques, lors d’un discours à la KU Leuven.
“Keep markets open ! Self-sufficiency is an illusion. When you think about the scale of what is needed, it becomes clear that no country and no company can do it alone.”
— Margrethe Vestager, 12 novembre 2021
BRETON À DRESDE • Les commentaires de Margrethe Vestager n’étaient pas du goût du commissaire au marché intérieur (Bloomberg). À Dresde, Thierry Breton a réagi l’après midi même, soulignant la “naïveté” et “l’étroitesse d’esprit” (Twitter) de ceux qui ne croient pas à la nécessité d’une stratégie industrielle européenne en matière de puces électroniques, portée par Thierry Breton et son European Chips Act.
BCE • L’inflation inquiète le patron de Deutsche Bank, Christine Lagarde rassure les eurodéputés
LA DB S’INQUIÈTE • Le PDG de la Deutsche Bank, Christian Sewing, a appelé la BCE à agir en raison de l'augmentation récente de l'inflation (FT). Les banques centrales partent du principe que la hausse actuelle de l'inflation est un effet temporaire, a déclaré M. Sewing lundi lors de l'Euro Finance Week à Francfort, mais les conséquences d’une politique monétaire expansionniste seront de plus en plus difficiles à maîtriser, selon le patron de la Deutsche Bank.
LA BCE RASSURE • S'adressant au Parlement européen, Christine Lagarde, présidente de la Banque centrale européenne, a continué de repousser les appels en faveur d'une politique monétaire plus stricte (verbatim).
Tout en admettant que le pic d'inflation sera plus élevé et plus long qu'on ne le pensait, "à mesure que la reprise se poursuit et que les goulets d'étranglement de l'offre se résorbent, nous pouvons nous attendre à ce que la pression sur les prix des biens et services se normalise", a déclaré Christine Lagarde.
LES TAUX • Alors que de nombreuses banques centrales ont annoncé leur intention de mettre fin aux achats d'actifs et de relever les taux d'intérêt, il est très peu probable que la BCE relève les taux d'intérêt l'année prochaine. Malgré la poussée actuelle de l'inflation, les perspectives d'inflation à moyen terme restent modérées: 2,2 % en 2021, 1,7 % en 2022 et 1,5 % en 2023.
BREXIT • Le Protocole nord-irlandais, noeud gordien
Les négociations entre l’UE et le Royaume Uni sur l’Irlande du Nord semblent avoir avancé sur des points techniques. Mais des désaccords de fond subsistent et les négociations s’enlisent, alors que les deux parties sont à Bruxelles cette semaine pour essayer de dénouer la situation.
DOLÉANCES BRITANNIQUES • Le Royaume-Uni continue d’appeler à la réécriture du Protocole. Londres dénonce notamment la création d’une frontière de facto en mer d’Irlande, et refuse la compétence de la CJUE pour connaître les contentieux en l’Irlande du Nord, restée dans l’union douanière et le marché intérieur européen.
REPRÉSAILLES • L’UE prépare des mesures de représailles — qui doivent être présentées aux États membres cette semaine — dans l’éventualité où le Royaume-Uni s'aventurait à suspendre unilatéralement le Protocole nord-irlandais en activant son article 16.
L’article 16 permet à l’une des parties à de suspendre unilatéralement l’accord, et à l’autre partie de prendre des mesures de rétorsion “proportionnées”. Le protocole ne définit pas ce qu’est une mesure proportionnée, ce qui exposerait l’UE à un long contentieux si le Royaume-Uni venait à suspendre l’accord (Politico).
ARSENAL EUROPÉEN • Des mesures de court terme sont envisagées, comme l’imposition de tarifs douaniers, par exemple sur la pêche, ce qui permettrait à Bruxelles de marquer son soutien à la France dans le conflit en cours dans la Manche, selon Mujtaba Rahman (Eurasia Group). Plus radical, Léo Varadkar, vice-premier ministre de la République d’Irlande, a évoqué la suspension de l’accord de libre échange conclu au lendemain du Brexit (FT).
La République d’Irlande, la France et la Belgique demandent de la fermeté, alors que d’autres États membres appellent au dialogue (Bloomberg; FT). Les partisans de la ligne dure souhaitent envoyer un signal à leurs partenaires sur la scène internationale : un accord international avec l’UE se respecte (POLITICO).
Nos remerciements aux rédacteurs de cette édition : Ambroise Simon (bienvenue!), Bérangère Maurier (bienvenue!), Marine Sévilla, Nabil Lakhal, Andrei-Bogdan Sterescu, Gautier Parthon de Von, Nathan Munch, Marceau Ferrand, Agnès de Fortanier, Thomas Harbor. À mardi prochain !