Revue européenne | 13 juillet 2021
Mort à Venise • transparence en Hongrie • présidence slovène • stratégie climatique • routes de la soie • concurrence • the Brexit Diaries
Bonjour! Bienvenue dans la Revue européenne du mardi, un condensé d'actualité européenne utile. Bonne lecture !
L’impôt mondial sur les sociétés fait des vagues à Venise
L’utilisation des fonds NGEU en Hongrie
Le grand oral du PM slovène au Parlement européen
Fit for 55, la stratégie climatique européenne, présentée le 14 juillet
L’UE veut contrer les nouvelles routes de la soie
Le cartel du diesel sanctionné par la DG COMP
L’executive order de Biden et le retour des USA sur la scène antitrust
Désaccords sur la facture du Brexit
ÉCO • mort à Venise (celle de l’optimisation fiscale)
EN TÊTE DE GONDOLE — Le G20 de Venise du weekend dernier a permis d'entériner l’accord sur la réforme de la fiscalité des multinationales proposée par l’OCDE. L’UE a profité de ce G20 pour repousser à l’automne 2021 sa nouvelle proposition de taxe numérique, cédant à la pression de la part de Washington, qui taxait l’initiative de protectionnisme (FT). La Secrétaire du Trésor des États-Unis, Janet Yellen, était à Bruxelles ce lundi, où elle assistait à une réunion de l’eurogroupe et déjeunait avec Ursula von der Leyen et Christine Lagarde.
AMBITIONS — La réforme de l’OCDE doit mettre un terme à la concurrence fiscale en matière d’impôt sur les sociétés et permettre de mieux répartir la taxation des profits, en fonction de leur origine. Elle repose sur deux piliers :
permettrait aux États de taxer une partie des profits des 100 plus grandes entreprises mondiales en fonction du chiffre d’affaires réalisé sur leur territoire
et instaurer un taux minimum d’impôt sur les sociétés à 15%.
DANS LE DÉTAIL — Si le G7, l’OCDE puis le G20 se sont formellement mis d’accord sur ces principes, les modalités de leur mise en place sont autrement plus complexes. Par exemple, les profits taxés des 100 plus grandes entreprises devraient se limiter aux profits au-delà d’une marge nette de 10%... or Amazon réalise une marge inférieure.
L’OCDE a donc proposé un dispositif spécifique pour s’assurer que les succursales les plus profitables d’Amazon (notamment Amazon Web Services) soient bien soumises à l’impôt. Par ailleurs, des carve-out ont été négociés avec les pays, comme la Pologne, pour différencier les filiales correspondant à des “activités substantielles” de les sociétés “boîtes aux lettres” établies à des fins principalement fiscales, pour ne pas freiner l’investissement productif dans ces pays.
DES RÉCALCITRANTS — Après ces grands principes, l’accord qui organise modalités d’application doit intervenir en octobre 2021. D’ici là, il faut convaincre les quelques récalcitrants européens, l’Irlande, la Hongrie et l’Estonie qui considèrent que les dispositions de l’accord OCDE sont contraires au droit européen. Une décision de la Cour de justice de l’Union de 2006, Cadbury Schweppes, avait en effet considéré que l’établissement de filiales dans des juridictions à faible taux d’imposition n’était pas assimilable à de l’évasion fiscale.
Pour ne pas s’exposer à une censure de la part du juge européen, une modification du droit communautaire serait donc indispensable, c’est-à-dire un vote à l’unanimité au Conseil… Comme disait Bruno Le Maire, ministre des finances français, après l’accord du G7 au début du mois, nous n’en sommes qu’au “point de départ” !
INSTITUTIONS • un peu plus de transparence
L’utilisation des fonds européens en Hongrie
EN BREF — Un rapport accablant commandé par des eurodéputés (Les Verts) détaille les détournements de l’utilisation des fonds européens en Hongrie. Décrivant des dérives chroniques et un système de détournement des fonds publics à des fins de clientélisme et de népotisme, le rapport souligne la difficulté pour les autorités européennes d’enquêter sur ces malversations. Leur conclusion : la Commission européenne doit geler les transferts de fonds vers la Hongrie.
GRAPHIQUE — Le rapport soulève des chiffres donnés par l'Office européen de lutte antifraude (OLAF) a constaté qu'en Hongrie, le taux de paiements irréguliers est environ dix fois supérieur à la moyenne européenne ▼
WHAT’S NEXT? — Les auteurs du rapport au Parlement proposent d’activer le mécanisme de conditionnalité des fonds au respect de l’état de droit pour les versements à la Hongrie dans le cadre le plan de relance Next Generation EU.
De son côté, le Commissaire au budget Johannes Hahn a assuré de l’action à l’automne, éventuellement contre plusieurs pays. L’UE a renforcé son arsenal avec le mécanisme de conditionnalité du plan de relance, ou encore le tout nouveau Parquet européen, dirigé par la procureur roumaine Laura Kövesi, entré en fonction le 1er juin 2021, mais dont la Hongrie n’est pas membre, ce qui lui permettra d’échapper aux poursuites du Parquet.
Une autre percée importante devrait suivre : l’Exécutif européen veut créer une nouvelle agence anti-blanchiment (“AMLA”), qui devrait être effective en 2024 pour coordonner les efforts de lutte anti-corruption des autorités nationales dans leur application des règles européennes pour en harmoniser l’exécution.
Le Premier ministre slovène devant le Parlement européen
EN BREF — Mardi 6 juillet, le programme de la présidence slovène était présenté devant le Parlement européen par le Premier ministre Janez Janša. À cette occasion, la Présidente de la Commission a prononcé un discours saluant les objectifs slovènes pour la reprise économique.
LES PENDULES À L’HEURE — Ursula von Der Leyen a rappelé que la reprise économique ne pouvait avoir lieu sans une bonne gouvernance, sans liberté des médias et indépendance des tribunaux, dans une critique à peine voilée des positions politiques du Premier ministre slovène.
INQUIÉTUDES — La protection de ces valeurs ont beaucoup préoccupé les députés de l’hémicycle européen lors de l’assemblée plénière consacrée au programme slovène. Le Néerlandais Malik Azmani, membre de Renew Europe, a ainsi accusé Janez Janša de « faire partie d'un sinistre club qui n'apprécie pas la liberté des médias, qui ne supporte pas l'indépendance du judiciaire et qui ne respecte pas les droit des LGBT » (L’Echo). À droite, les bancs du PPE étaient plutôt silencieux.
AGENDA — Quelques jours après la Plénière, le Ministre slovène des affaires étrangères a pointé les procédures Article 7, initiées à l’encontre de la Hongrie et de la Pologne pour avoir méconnu les principes fondamentaux prévus dans les textes européens. C’est avant tout une question de réputation pour les États visés, mettre fin à ces procédure ne devrait rien changer au statu quo : les procédures de l’article 7 sont vouées à l’échec puisqu’elles nécessitent, pour aboutir à des sanctions, une unanimité au Conseil européen.
CLIMAT • “fit for 55”, la stratégie climatique européenne
EN BREF — Le 14 juillet, la Commission européenne présentera le paquet législatif “Fit for 55”, un régime pour mettre en œuvre les ambitions européennes de réduction de 55% des émissions de gaz à effet de serre d’ici 2030.
CONCRÈTEMENT — Les propositions de directives et règlements doivent s’attaquer, entre autres, aux programmes d’efficacité énergétique, au marché carbone européen, à la taxation de l’énergie, au partage de l’effort climatique entre États membres, et aux normes d’émissions des véhicules. Parmi ces mesures, les modalités du Mécanisme d’Ajustement Carbone aux Frontières (MACF), censé lutter contre les fuites des émissions carbonées, sont d’ores et déjà connues puisque le texte de règlement à fuité samedi 3 juillet.
ÉVITER LES FUITES — Le rehaussement des objectifs de réductions de gaz à effet de serre d’ici 2030 fait craindre un la fuite des émissions carbonées, c’est-à-dire de la production européenne à forte intensité carbone, mais en dehors de l’Union.
Dans ce contexte, le MACF est censé pallier ce problème en créant une obligation pour les importateurs de s'acquitter du même coût carbone que celui supporté par les producteurs domestiques. Annoncé par Ursula von der Leyen en septembre 2020, ce rêve d'économistes doit enfin voir le jour, malgré les réticences de l'administration Biden, l’opposition de la Russie et autres pays frontaliers et les craintes que cet outil soit jugé incompatible avec les règles de l’OMC.
RISQUES — Dans une note publiée jeudi dernier, l’Institut Europe Jacques Delors fait le point sur le texte fuité à l'aune de ces obstacles politiques, diplomatiques et juridiques. Trois questions restent en suspens :
Un risque d’illégalité au regard du droit de l’OMC;
L’articulation entre le MACF et le système d’échanges de quotas d’émission (SEQE), dont les quotas sont émis gratuitement;
Des crises diplomatiques entre États pollueurs et États plus vertueux, en l’absence de compensations financières au sein de l’UE — le sujet de la redistribution est à l’agenda de Frans Timmermans (Euractiv).
CHINE • contourner les routes de la soie
EN BREF — Le Conseil européen a demandé, ce lundi (12 juillet) à la Commission de préparer la riposte européenne aux Nouvelles routes de la soie chinoises (Belt and Road Initiative)
DES PAROLES — Pour aller au delà de la Stratégie de connectivité UE-Asie de 2018, les 27 souhaiteraient que la Commission soumette une liste de « projets à fort impact et à grande visibilité », de l’Afrique à l’Amérique latine, dans un exercice d'équilibriste de de(géo)stratégique que de relations publiques.
L’objectif affirmé est de proposer un modèle alternatif aux nouvelles routes de la soie, le gigantesque programme d’infrastructure mis en place en 2013 par Xi Jinping. Les projets financés font régulièrement l’objet de critiques, entre diplomatie de la dette (demandez aux monténégrins) et considérations environnementales.
ET DES ACTES (À VENIR) — Une liste de projets devrait émerger d’ici le premier trimestre 2022 avec des options comme l’extension du câble EllaLink connectant l’Afrique, le port géorgien en eaux profondes d'Anaklia ou de nouvelles infrastructures entre l’UE et les Balkans. Il s’agira simultanément de se synchroniser avec le partenariat Build Back Better World (B3W), initiative portée par les États-Unis et adoptée lors du G7 le mois dernier. Bien qu’il soit prévu d’inclure le financement de ces projets dans le budget européen pour 2021-2027, aucun chiffre précis n’est avancé à ce stade.
CONCURRENCE
Diesel Gate, suite et suite
EN BREF — Jeudi dernier (8 juillet), la Commission européenne a infligé une amende de 373m d’euros à BMW et 502m d’euros au Groupe Volkswagen pour s’être entendues pour ralentir le déploiement des technologies de réduction des émissions polluantes (communiqué ici).
CARTEL CONTRE LA PLANÈTE — Les constructeurs automobiles ont mis en place une entente de 2009 à 2014, pour ne pas se faire concurrence sur les technologies de réduction des émissions polluantes. La DG Concurrence explique que les constructeurs allemands se sont régulièrement rencontrés, avant que Daimler, usant de la procédure de clémence pour échapper à une amende de 727m d’euros, ne vende la mèche aux services de la Commission.
“C'est la première fois que la Commission estime que la coopération sur des éléments techniques, par opposition à la fixation des prix ou au partage du marché, constitue un comportement d'entente.” — Margrethe Vestager, sur cette affaire.
Pour rappel, le diesel gate de 2015 avait conduit Volkswagen et d’autres constructeur dont Renault à reconnaître le trucage de leurs moteurs pour contourner des normes anti-pollution. Volkswagen avait écopé de plus de 31 Mds d’euros.
Biden monopolise la conversation antitrust
EN BREF — Le centre de gravité de l’antitrust continue sa migration de Bruxelles à Washington DC. Vendredi (9 juillet), le président Biden a signé un executive order pour promouvoir la concurrence dans l’économie américaine(disponible ici).
LES HIPSTERS CONTRE-ATTAQUENT — Prenant acte du recul de la concurrence dans nombre de secteurs aux États-Unis, la Maison Blanche veut s’attaquer au pouvoir grandissant des grandes entreprises, Big Tech et Big Pharma en tête (FT). Le discours de Biden était on ne peut plus clair : on tourne la page des Chicago Boys et pour ouvrir celle des néo-brandeisiens, des antitrust hipsters, de la bande de l'université de Columbia à New-York (Lina Khan et Tim Wu ci-dessous).
BIG TECH & KILLER APPS — L’Executive Order annonce un renforcement du contrôle des concentrations par les plateformes numériques dominantes, coutumières des killer acquisitions d’entreprises naissantes à très fort potentiel. On s’attend à ce que Lina Khan, à qui le président a remis le stylo avec lequel il a signé le décret, continue son entreprise de remodelage de l’antitrust à l’ère numérique.
THE BREXIT DIARIES
Désaccord sur la facture du divorce
EN BREF — La publication des Comptes annuels consolidés de l’Union européenne pour 2020 (disponible ici) donne lieu à une petite passe d’armes comptable entre Bruxelles et Londres.
À VOS CALCULETTES — La Commission européenne évalue la facture à 47,5 Mds d’euros, un premier montant de 6,8 Mds d’euros devant être réglé dès cette année. Ces milliards correspondent à des engagements pris par le Royaume-Uni dans le Cadre financier pluriannuel 2014-2020 et pour le régime de retraite et de maladie des fonctionnaires européens (Les Echos).
Mais à Londres, on n’arrive pas aux mêmes chiffres et on considère que la somme due est de 41,1 Mds. d’euros. . Le Royaume-Uni a contribué au budget de l’UE et a reçu ses subsides jusqu’à la fin de la période de transition, soit le 1er janvier 2021 (FT).
… mais de la coopération en matière de concurrence
EN BREF — Le Royaume-Uni et l’Union européenne prévoient une coopération renforcée en matière d’antitrust, selon des sources citées par le FT. La Competition and Markets Authority (CMA) et la DG Concurrence pourraient ainsi accorder leurs violons pour des partages d’informations sur les enquêtes menées par les deux autorités.
Merci à Nicolas Tselikas-Bouzeau (bienvenue!), Ghislain Lunven, Alexandra Philoleau, Paul-Angelo dell’Isola, Pierre Pinhas, Léo Amsellem, Agnès de Fortanier et Thomas Harbor pour cette édition.
À mardi prochain !