Les télécoms veulent faire payer les Big Tech
Mais aussi — Énergie, DMA, Élargissement de l’UE, Borrell, Budget, EPPO
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La campagne des Télécoms pour faire payer les Big Techs
Le secteur des télécommunications fait pression pour que les Big Tech — qui représentent un pourcentage substantiel de l'utilisation d'internet — paient une part équitable des investissements massifs nécessaires à la mise à niveau des infrastructures de réseaux. Leurs arguments gagnent du terrain à Bruxelles, au grand dam des grandes entreprises technologiques.
WHAT’S UP • "En Europe, tous les acteurs du marché bénéficiant de la transformation numérique devraient apporter une contribution juste et proportionnée aux biens, services et infrastructures publics, au profit de tous les Européens", a déclaré le 14 septembre Thierry Breton, commissaire chargé du marché intérieur. Le débat actuel porte sur la question de savoir si les grandes entreprises technologiques — y compris les réseaux sociaux comme Méta et les créateurs et agrégateurs de contenu comme Netflix, Amazon et Alphabet — doivent payer pour le développement des infrastructures de réseaux sur lesquelles elles s'appuient pour fournir leurs services.
FACTURE INTERNET • La Commission européenne s'est fixé pour objectif de parvenir à une connectivité giga avec la 5G et la fibre optique partout en Europe d'ici 2030. Cependant, selon l’ETNO (l'Association européenne des opérateurs de réseaux de télécommunications), les opérateurs de télécommunications sont les seuls à payer la facture nécessaire à la transition de leurs réseaux vers les technologies 5G et la fibre. Les investissements se feront à perte, à moins que les factures internet n’augmentent de façon spectaculaire — mais personne ne souhaite vraiment que l'internet suive la même courbe que le prix du gaz.
LES POUR • Dans un rapport rédigé pour l'ETNO, Axon Partners a constaté qu'alors que les entreprises de télécommunications de l'UE "ont investi plus de 500 milliards d'euros dans les réseaux fixes et mobiles au cours des dix dernières années, [...] la majeure partie de la croissance du trafic de données au cours de la dernière décennie a été alimentée par un petit nombre de fournisseurs OTT (Over-The-Top) de premier plan, dont la contribution économique au développement des réseaux de télécommunications nationaux est faible, voire nulle" (notre trad.), alors qu'ils représentent plus de 55 % de l'ensemble du trafic internet. L'ETNO est donc favorable à un partage “plus équitable” des coûts entre les télécoms et les Big Tech.
L'appel de l'ETNO a reçu un accueil favorable chez certains à Bruxelles. En mars 2022, Thierry Breton a annoncé dans une interview que la Commission travaillait sur une proposition visant à faire contribuer les Big Tech au financement des infrastructures. En août 2022, les gouvernements français, italien et espagnol ont publié un papier commun dans lequel ils demandent à la Commission d'intervenir sur le sujet avec une proposition législative.
LES CONTRE • Les Big Tech font valoir qu'elles ont déjà contribué à leur juste part à l'amélioration du réseau. Les entreprises technologiques investissent environ 22 milliards d'euros par an dans l'infrastructure internet européenne, ce qui permet aux grands opérateurs de télécommunications et aux autres fournisseurs de services internet d'économiser environ 950 millions d'euros par an en frais de réseau et de transit, selon un rapport d'Analysis Mason commandé par la CCIA et DOT Europe. Le rapport souligne également que si le trafic réseau mondial a augmenté de plus de 160 %, les coûts liés au réseau pour les fournisseurs de services internet n'ont augmenté que de 3 % entre 2018 et 2021. Christian Borggreen, responsable de CCIA Europe, ajoute en outre que "les coûts des éventuels frais d'utilisation du réseau finiraient par frapper les Européens directement dans leur poche, sous la forme de services de cloud et de streaming plus coûteux."
NEUTRALITÉ DU NET • Le débat s'est enflammé lorsque des militants du numérique ont mis en garde que l'intervention proposée pourrait entraver la neutralité du net. Selon le principe de neutralité du réseau, les fournisseurs d'accès à Internet ne devraient pas discriminer ou favoriser l'un des contenus qui transitent sur leurs réseaux. Faire payer les grands créateurs de contenu tels que Netflix et Amazon pour le réseau qu'ils utilisent eux-mêmes pourrait donc faire douter de l'impartialité de la gestion du flux de données.
LE BEREC S'IMPLIQUE • Le dernier épisode de cette série a pris place le 12 octobre lorsque l'Organe des régulateurs européens des communications électroniques (BEREC) a publié un papier dans lequel il s'en prend au principe de “contribution équitable".
Le BEREC a souligné qu’internet a prouvé son "ability to self-adapt to changing conditions, such as increasing traffic volume and changing demand patterns" et qu'il doit y avoir une importante justification économique pour intervenir sur le marché et changer les règles existantes.
La principale justification d'une telle intervention — à savoir qu'un trafic plus important entraîne des coûts plus élevés pour les opérateurs de réseau — n'est pas totalement représentative de la réalité, affirme le BEREC: “le coût des mises à niveau du réseau nécessaires pour gérer un volume accru de trafic IP est très faible par rapport au coût total du réseau". L’organe régulateur avance que les fournisseurs de contenu et les opérateurs de réseau sont interdépendants, car plus le contenu disponible est de qualité, plus la demande de connexion à haut débit est élevée. Le BEREC conclut ainsi qu'il n'y a aucune preuve que les grandes entreprises technologiques “free-ride” les efforts d'investissement des opérateurs de réseau, car les coûts de la connectivité Internet sont généralement couverts par les consommateurs.
NEXT STEPS • Le débat est loin d'être terminé. Euractiv a révélé qu'une autre étude sur les implications potentielles de cette proposition devrait être publiée mi-novembre. En décembre, la Commission devrait lancer une étude sur le sujet, tandis qu'une proposition législative formelle est attendue dans les premiers mois de l'année prochaine.
Inter alia — Énergie, DMA, Élargissement de l’UE, Borrell, Budget, EPPO
ÉNERGIE • À la suite du sommet informel qui s'est tenu à Prague la semaine dernière, la Commission européenne devrait publier le 18 octobre une proposition concernant l'achat commun de gaz, une nouvelle référence de prix pour le gaz et un meilleur partage du gaz stocké en cas de pénurie. Ces progrès ont été réalisés après que l'Allemagne et les Pays-Bas ont présenté un document appelant à la mise en place de mesures communes à l’UE concernant la pénurie de gaz.
La commissaire à l’énergie Kadri Simson a annoncé que l'indice TTF des Pays-Bas (sur lequel l’UE se basait jusqu’à maintenant pour établir les prix du gaz) n'est plus représentatif de la réalité du marché de l'énergie de l'UE, et qu’un autre indice de référence doit donc être développé. Si le nouvel indice de référence devrait entrer en vigueur d'ici la prochaine saison de dépôt des demandes, la discussion sur le mécanisme temporaire de limitation du prix est toujours en cours. À Prague, les ministres européens de l'énergie ne sont pas parvenus à un consensus sur la forme préférée de plafonnement du prix du gaz. La balle est à nouveau dans le camp de la Commission.
Alors que le plan d'aide de 200 milliards d'euros de l'Allemagne est de plus en plus critiqué par les autres États membres de l'UE, l'Allemagne a fait savoir qu'elle était ouverte à la discussion sur la contraction d’une dette commune afin de faire face à la crise énergétique. Si des prêts similaires à ceux de SURE (“temporary Support to mitigate Unemployment Risks in an Emergency”) ne sont actuellement pas sur la table pour Berlin, ils pourraient être envisagés à un stade ultérieur.
Cependant, l'Allemagne préfère utiliser les outils financiers existants, notamment le fonds de relance de 750 milliards d'euros et le programme REPowerEU, a déclaré le porte-parole du gouvernement. "Une grande partie des fonds est encore disponible pour soutenir les investissements et les réformes dans les États membres et peut ainsi contribuer à la gestion de la crise et à la transition écologique dans le secteur énergétique", a-t-il ajouté.
DMA • Le règlement 2022/1925 a été publié au Journal officiel de l'UE le 12 octobre, soit un mois environ après que le Conseil de l'UE est parvenu à un accord avec le Parlement sur le texte. En d’autres termes, la loi sur les marchés numériques (DMA, Digital Markets Act), le texte législatif phare de l'UE qui vise à régir le fonctionnement des marchés numériques, a été publiée.
Le règlement entrera en vigueur le 1er novembre 2022. Mais les choses sérieuses ne commenceront que six mois plus tard, en mai 2023, lorsque la Commission désignera les entreprises "gatekeepers", c'est-à-dire les mastodontes du numérique dont le DMA vise à contrôler le pouvoir de marché.
Ces entreprises seront soumises à des interdictions et à des obligations spécifiques concernant l'utilisation de leur puissance de marché dans les "services de plate-forme essentiels" (core platform services) pour écraser leurs plus petits concurrents, par exemple en utilisant les données non publiques d‘utilisateurs professionnels pour les concurrencer directement, en classant leurs propres produits plus haut que ceux des autres (self-preferencing) ou en limitant l'interopérabilité de leurs services avec d'autres services.
PAQUET ÉLARGISSEMENT • Le 12 octobre 2022, la Commission européenne a adopté son paquet annuel sur l'élargissement, qui fournit une évaluation actualisée des progrès accomplis par les Balkans occidentaux et la Turquie sur la voie de l'adhésion à l'UE.
La Commission a réitéré son engagement à soutenir les réformes dans les Balkans occidentaux et a recommandé que le Conseil accorde à la Bosnie-Herzégovine le statut de candidat – sous réserve que des conditions spécifiques soient remplies . Bien que la Turquie ait été désignée comme un partenaire clé pour l'UE, le commissaire Varhelyi a déclaré que "les négociations d'adhésion restent au point mort, l'évaluation de la Commission ayant confirmé que la tendance négative à s'éloigner de l'Union européenne [...] n'a pas changé".
BORRELL • Le 10 octobre, lors de la Conférence annuelle des ambassadeurs de l'UE, le HRVP Borrell a pris la parole sur le rôle de la diplomatie de l'UE dans un "monde d'incertitude radicale", et parsemé son discours de quelques saillies qui ont marqué à Bruxelles.
Le chef de la diplomatie européenne a fait part de ses inquiétudes quant à l'attrait du mode de vie européen:
"Nous pensons trop en interne, puis nous essayons d'exporter notre modèle, mais nous ne pensons pas assez à la façon dont les autres percevront cette exportation de modèles. Oui, nous avons l’effet Bruxelles et nous continuons à fixer des normes, mais je crois que, de plus en plus, le reste du monde n'est pas prêt à suivre notre modèle (...) Pour des raisons culturelles, historiques et économiques, ce n'est plus accepté".
Il a également exhorté les délégations de l'UE à être plus réactives :
"Vous devez être en mesure de réagir 24 heures sur 24. Il faut informer immédiatement. Je ne veux pas continuer à lire dans les journaux des choses qui se sont passées quelque part sans que notre délégation n'ait rien dit".
BUDGET SERRÉ POUR L’UE • "L'exposition totale du budget de l'UE aux futures obligations potentielles a plus que doublé en 2021" : voici l'une des conclusions du dernier rapport de la Cour des comptes européenne, qui, en plus d’avoir identifié des erreurs de plus en plus nombreuses dans les dépenses du budget de l'UE, a également souligné les risques budgétaires de la guerre en Ukraine.
"À la fin de 2021, l'Ukraine avait des prêts en cours d'une valeur nominale de 4,7 milliards d'euros dans le cadre de multiples programmes de l'UE. La Banque européenne d'investissement a également accordé à l'Ukraine des prêts, couverts par des garanties de l'UE, d'une valeur de 2,1 milliards d'euros", peut-on lire dans le rapport.
Le risque immédiat de ces prêts concerne les potentiels non-remboursements, dans une période où la marge de manœuvre de l’UE est actuellement "assez limitée".
LE PARQUET ET LES VACCINS • Le Parquet européen, dont la mission est de protéger "l'argent des contribuables européens contre les criminels", ouvre une enquête sur l'acquisition de vaccins Covid-19 dans l'UE, sans plus de détails à ce stade.
Ursula von der Leyen a déjà été sous le feu des projecteurs, après que la Commission européenne a été accusée de mauvaise administration par la médiatrice européenne Emily O'Reilly à propos de SMS — finalement effacés — avec le PDG de Pfizer concernant l'acquisition de vaccins en 2021.
Nos lectures de la semaine
Alors que le Parti communiste chinois se réunit cette semaine à l’occasion de son 20e Congrès national, Jan Hoogmartens, dans un article pour l'Institut Egmont, réfléchit aux perspectives actuelles du pays et aux orientations de politiques étrangère et économique que l’UE pourrait adopter en réponse.
Pendant ce temps, de l’autre côté du détroit : Mario Esteban et Michael Malinconi, du Real Instituto Elcano, prennent le pouls de la relation de l'UE avec Taïwan, que le haut représentant Josep Borrell souhaite approfondir, toujours dans le cadre de la politique d'une seule Chine.
Matthias Bauer, de l'ECIPE, plaide en faveur de la consolidation du marché unique. L'Europe fait face au risque ne pas rattraper l'Asie et l'Amérique dans l’innovation, la productivité, et in fine en puissance économique globale.
Cette édition a été préparée par Ilaria Tucci, Matteo Gorgoni, Marianna Skoczek-Wojciechowska, Maxence de La Rochère, et Augustin Bourleaud. À la semaine prochaine !