La présidence française du Conseil de l'UE, vue de l'Assemblée nationale
Une conversation avec Sabine Thillaye, présidente de la Commission des affaires européennes de l'Assemblée nationale.
En janvier 2022, la France prend pour six mois la présidence du Conseil de l’UE. Cette présidence tournante revient à la France alors que de nombreux textes législatifs sont en discussion au niveau européen, que l’Allemagne se dote d’une nouvelle coalition, et que la scène politique française est déjà entrée dans la campagne présidentielle.
Ce jeudi 9 décembre, le président de la République présentait les priorités de cette présidence française du Conseil de l’UE, dite PFUE.
Nous nous sommes entretenus avec Sabine Thillaye, députée de la 5e circonscription d’Indre-et-Loire, présidente de la Commission des affaires européennes de l’Assemblée nationale.
© Clément Beaune, Twitter
Quels sont les enjeux majeurs de la présidence française du Conseil de l’Union européenne ?
La présidence française du Conseil de l’UE donne un rôle supplémentaire à la France dans le processus législatif européen. Notre présidence doit faire avancer tout d’abord un agenda législatif, composé de nombreux règlements et directives.
Dans ce cadre contraint, il est possible de pousser pour des priorités sur lesquelles le Président a insisté dans sa conférence de presse : le climat avec le paquet Fit for 55 qui vise à réduire les émissions de gaz à effet de serre de 55% d’ici 2030, le mécanisme d’ajustement carbone aux frontières, très controversé au sein de l’UE, mais aussi la taxonomie verte de l’UE, pour laquelle la France souhaite y inscrire le nucléaire — ce à quoi les Allemands comme les Autrichiens sont opposés.
Sur le numérique, le DMA et le DSA doivent être achevés sous présidence française, et venir encadrer les activités et les positions dominantes des géants du numérique.
Au niveau social, la PFUE doit être l’occasion d’avancer sur l’idée d’un salaire minimum au sein de l’UE. Voilà les grandes priorités au niveau législatif, sur lesquelles la France veut obtenir des résultats lors de cette PFUE.
La conférence de presse du Président laisse apparaître des ambitions vastes et à long terme. N’est-ce pas en décalage avec la durée de la PFUE (6 mois) et les pouvoirs qui sont formellement donnés au pays qui occupe cette présidence tournante, c’est-à-dire essentiellement de décider de l’ordre du jour des réunions du Conseil de l’UE ?
Le discours du Président dépasse le seul cadre de la PFUE. Il y a en effet un agenda législatif, sur lequel nous ne sommes pas totalement libres. La France succède aux présidences slovène et portugaise du conseil de l’UE, avec des textes en cours de négociation sur lesquels la France entend être un « honest broker ». Comme le dit mon collègue Jean-Louis Bourlanges, président de la Commission des affaires étrangères, on a les bras “chargés des enfants des autres”.
Mais au-delà de l’agenda législatif, il y a aussi un agenda politique et c’est l’occasion pour la France de porter des réflexions de fond sur certaines thématiques. La réforme de Schengen ou l’approfondissement d’une Europe de la défense ne se feront certainement pas en six mois, mais il est nécessaire d’initier une dynamique. Depuis 2017 et le discours de la Sorbonne du Président, les choses ont déjà beaucoup bougé — on peut penser au sujet de l’autonomie stratégique et de la souveraineté qui suscitaient beaucoup de méfiance de l’autre côté du Rhin. Des avancées substantielles ont aussi eu lieu sur le fonds européen de défense. Donc les grandes ambitions ne sont pas dénuées d’effets concrets, même lorsque certains partenaires répondent un peu plus tardivement que d’autres.
La boussole stratégique sera un exercice inédit. Pour la première fois, les vingt-sept États membres de l’UE se mettent autour de la table pour essayer de définir les menaces qui nous sont communes. L’Europe de l’Est regarde plus vers la Russie, nous plus vers l’Afrique, mais on voit bien qu’il faut prendre l’ensemble de notre voisinage en compte. L’Union européenne du XXe siècle avait à cœur de d’assurer la sécurité à l’intérieur de ses frontières, l’heure est désormais venue de se préoccuper véritablement de la sécurité extérieure de l’UE.
Un nouveau gouvernement est désormais en place à Berlin. Le contrat de coalition a surpris par ses ambitions européennes. Pensez-vous, à la lumière des premières rencontres qui ont eu lieu cette semaine entre homologues français et allemands, que les planètes sont alignées pour faire avancer les priorités françaises de cette présidence française du Conseil de l’UE ?
J’ai rencontré hier (9 décembre) la nouvelle ministre déléguée aux affaires européennes, et nous sommes d’équerre sur de nombreux sujets. Mais il y aura bien évidemment des sujets de débat.
Le contrat de coalition est tout de même assez surprenant d’un point de vue européen. Il va beaucoup dans notre sens, notamment le refus de l’accord UE/Chine et UE/Mercosur, le soutien pour le paquet Fit for 55, souveraineté stratégique — même si la souveraineté stratégique met plus l’accent sur la défense en France qu’en Allemagne. Il y aura quelques discussions sur le sujet, les socialistes et les Verts allemands étant moins alignés avec la ligne française sur le sujet.
Les Allemands sont ouverts à une modification des Traités, alors que la ligne officielle jusqu’ici était toujours de voir quels changements étaient possibles à Traités constants. C’est un pas de plus qui est intéressant, et le contrat de coalition va jusqu’à parler d’une Europe fédérale.
Les parlements nationaux sont souvent décrits comme les grands perdants de l’intégration européenne, écrasés entre le Parlement européen et le Conseil qui ont leurs légitimités propres. Quelle est le degré d’implication des parlementaires nationaux dans cette présidence française du Conseil de l’UE ?
Les parlementaires des Commissions des affaires européennes de l’ensemble des États membres réunissent quatre fois par an minimum. Nous procédons aussi à des auditions de Commissaires européens en commun.
Nous allons mettre à l’ordre du jour les questions de valeurs et d’état de droit, comme récemment Didier Reynders à l’Assemblée nationale . Ces questions sont des bombes à fragmentation pour moi. Dans le triptyque « résilience, puissance, appartenance » qu’affiche la PFUE, il faut bien comprendre qu’on ne peut pas être puissants sans convergence sur les valeurs. Nous avons créé l’UE pour faire face à nos divisions internes. Nous avons aujourd’hui à faire à des menaces externes importantes qui rendent nécessaire une unité des valeurs. L’État de droit est tout sauf une notion abstraite.
J’ai écrit un rapport sur la question du rôle des parlementaires nationaux dans le processus décisionnel européen en 2018. Je suis de plus en plus persuadée que les parlements nationaux sont le chainon manquant de l’intégration européenne. Nous devons lier les échelons local, national et européen. Il faut expliquer que l’UE ne se réduit pas à des fonds structurels, et ce n’est pas suffisamment expliqué. Dans d’autres États membres, des débats ont lieu avant les Conseils européens au Parlement — ce n’est pas le cas en France et c’est regrettable. Au Bundestag, j’ai assisté à des déclarations d’Angela Merkel avant et après les sommets européens. Il est assez légitime que la représentation nationale soit au courant de ce que leur gouvernement défend au Conseil.
Il y a un problème démocratique. Il faudrait arriver à des standards minima de contrôle des gouvernements par les députés au sein de l’UE. Il y a de fortes disparités sur ce sujet au sein de l’UE.
Par exemple, en Finlande, la Commission des affaires européennes est la commission la plus importante du Parlement, et qui mandaté le Premier ministre sur les positions à défendre au Conseil. On est très loin de cela en France. Cela veut dire qu’un électeur finlandais a beaucoup plus d’impact sur les processus décisionnels au niveau européen qu’un électeur français.