Bonjour. Nous sommes le lundi 6 février 2023 et voici votre condensé utile d’actualité européenne.
Le Briefing
Alors que les chefs d’Etat et de gouvernement de l’UE se retrouvent à Bruxelles les 9-10 février pour un Conseil européen extraordinaire, la Commission européenne a présenté, dans une communication, le Green Deal Industrial Plan (GDIP) le 1er février.
Ursula von der Leyen avait annoncé le plan au Forum économique mondial à Davos, le 17 janvier. Le GDIP constitue la réponse de l’UE à l’Inflation Reduction Act (IRA), qui vise à favoriser la transition écologique — et les technologies vertes “made in America”.
CONTRE-ATTAQUE • Le GDIP sera à l’agenda du Conseil européen exceptionnel dédié à l’IRA des 9 et 10 février. Les chefs d’Etat et de gouvernement se sont donnés rendez-vous pour accorder leurs violons et établir une position commune. La Commission européenne s’est engagée à faire les propositions législatives décidées par les 27 d’ici le prochain Conseil européen, le 25 mars.
PLAN • Le GDIP ciblerait les mêmes secteurs que l’IRA : batteries, hydrogène et matières premières critiques — entre autres. Les actions proposées s'articulent autour de 4 axes :
un environnement réglementaire favorable pour les industries à zéro émission nette.
des financements nationaux et européens.
garantir des compétences adéquates pour la transition écologique.
un programme commercial ambitieux.
Le nouvel environnement réglementaire serait défini à travers un “Net-Zero Industry Act” qui établirait des objectifs précis pour l’industrie à l’horizon 2030, un “Critical Raw Materials Act” qui viserait à sécuriser l’accès aux matériaux critiques, et une réforme du fonctionnement du marché de l’électricité qui serait annoncée en mars par la Commission.
FINANCEMENT • La communication précise également la question du financement, qui divise encore beaucoup les Etats membres et le collège des commissaires.
D’un côté, des Etats comme la France ou l’Italie — soutenus par Thierry Breton, Charles Michel et Paolo Gentiloni — sont favorables à de nouveaux emprunts communs afin de financer les plans de l’UE. De l’autre, l'Allemagne, la Suède ou les Pays-Bas s'opposent fermement à la levée de dette commune, préférant s’appuyer sur des fonds existants.
Le plan présenté par la Commission tente de trouver un équilibre entre ces positions divergentes, qui se sont manifestées ces dernières semaines à coups de non-papers et de tribunes.
À court terme, le GDIP prévoit de compter sur des fonds existants tels que REPowerEU, InvestEU ou encore le Fonds pour l’innovation. 100 milliards d’euros en fonds de cohésion seront également mobilisés. À long terme, le plan envisage la création d’un Fonds de souveraineté européen. Interrogée par la presse, Ursula von der Leyen n’a pas pu donner davantage de détails sur ce dernier.
AIDES D'ÉTAT • Afin d’atteindre les ambitions européennes en matière d’industrie verte, le GDIP prévoit également d’autoriser davantage d’aides d’Etat. Le plan envisage notamment la possibilité de permettre aux Etats membres de s’aligner sur le niveau de subventions de pays tiers dans des cas précis, afin d’attirer les entreprises.
La Commission souhaite également étendre l’encadrement temporaire de crise à l’ensemble des énergies renouvelables et à la production d'hydrogène vert, tout en augmentant les montants maximums par bénéficiaire, jusqu’à 2025. Établi en mars 2022, l’encadrement vise à faciliter les aides d’Etat pour faire face aux conséquences économiques de la guerre en Ukraine.
Enfin, le plan prévoit d’augmenter les seuils à partir desquels les Etats sont tenus de notifier la Commission leurs projets d’aides d’Etats.
DIVISIONS • Cela n’est pas au goût de tous les Etats membres. Nombre d’entre eux critiquent le manque de précision du plan, accusant la Commission d’ouvrir la porte à des subventions incontrôlées en France et en Allemagne en raison des grandes capacités fiscales des deux Etats membres.
La commissaire à la concurrence Margrethe Vestager a elle-même reconnu les risques que posent ces mesures, insistant sur leur aspect temporaire. “Certains pays seront en mesure de fournir beaucoup plus d’argent que d’autres”, a-t-elle déclaré lors d’une conférence de presse.
En réaction, certains analystes appellent à un outil de financement européen. Simone Tagliapietra, senior fellow à Bruegel, a déclaré dans Euractiv que “L’UE a besoin d’un outil sérieux au niveau européen, visant à éviter une dangereuse course aux subventions au sein de l’UE qui ne ferait que raviver le clivage classique nord-sud ”.
Pour Margrethe Vestager, c’est un jeu d’équilibriste : d’un côté, la commissaire reconnaît la menace que représente l’IRA pour certains secteurs. De l’autre, elle souhaite une réponse mesurée pour ne pas mettre en danger le marché unique.
CONSULTATIONS • La Commission a consulté les Etats membres sur les réformes proposées en matière d’aides d’Etat.
Dans une lettre adressée à Valdis Dombrovskis, la République tchèque, le Danemark, la Finlande, l'Autriche, l'Irlande, l'Estonie et la Slovaquie avaient déjà fait savoir leur opposition à un relâchement du droit des aides d’Etat. L’Italie avait également partagé sa réticence sur le sujet.
RÉACTIONS • La France estime que le volet financier n’est pas satisfaisant. Plusieurs associations professionnelles ont aussi critiqué le plan, soulignant son manque d’avancées concrètes. Si l’industrie allemande s’est félicitée de l’approche de la Commission, l’idée d’un Fonds de souveraineté européen divise au sein de la coalition tricolore.
À la suite de la communication, neuf États membres — la France, la Roumanie, la Bulgarie, la Pologne, la Slovénie, la Croatie, la Slovaquie, la République Tchèque et la Hongrie — ont rédigé une lettre à l’attention de la Commission européenne. Ces pays demandent l’inclusion de l’hydrogène bas carbone — produit à partir d’énergie nucléaire — dans la directive énergie renouvelable (RED) de l’UE, qui est actuellement en cours de révision. Ils invoquent notamment le principe de neutralité technologique.
Le Parlement européen prépare également sa position. Initialement, les députés devaient adopter une résolution lors de la mini-plénière le 1er février dernier. Ils ont repoussé cela à la mi-février. Pour le moment, il n’y a pas d’accord entre les groupes.
De son côté, le PPE ne souhaite pas d'endettement commun. Quant à Renew Europe, le groupe semble vouloir élargir le champ d’application du GDIP. Valérie Hayer, de Renew Europe, a émis des réserves quant à l’utilisation de fonds existants : “Si nous continuons à utiliser l'argent qui est déjà sur la table pour faire face à la fois à nos priorités traditionnelles et aux tout nouveaux défis extraordinaires qui nous attendent, nous échouerons”.
WHAT NEXT? • Le Conseil européen exceptionnel consacré à l’IRA se tiendra le 9 et 10 février. Les futures propositions seront discutées pendant le prochain Conseil européen, le 25 mars.
D’ici là, Bruno le Maire et Robert Habeck s’envolent pour Washington le 7 février prochain pour tenter d’obtenir des ajustements avant le Conseil européen. Ils devraient notamment demander au gouvernement américain plus de transparence transatlantique sur les subventions et abattements fiscaux.
Inter alia
BCE • Le 2 février, la BCE a relevé de 0,5% (50 bps) ses taux directeurs, à leur plus haut niveau depuis 2008 — le taux de dépôt atteint désormais 2,5%. Le conseil des gouverneurs a annoncé maintenir la trajectoire d’une hausse des taux à un rythme régulier, prévoyant un durcissement supplémentaire de 0,5% lors de sa prochaine réunion de politique monétaire en mars. L’inflation sous-jacente, rapportée à 8,5 % (contre 9,2% en décembre), n'a pas encore montré de signes convaincants de modération.
En dépit d’un durcissement monétaire entamé en juillet 2022, la zone euro connaît toujours un taux de croissance positif, bien que fortement ralenti (0,1% au dernier trimestre 2022). En outre, dans le cadre du dégonflement de son bilan, la BCE a annoncé un ciblage du réinvestissement des obligations d’entreprises au profit “des émetteurs présentant les meilleures performances climatiques”.
MÉDICAMENTS • L’UE se trouve depuis plusieurs mois déjà face à un risque latent de pénurie de médicaments. Certains producteurs de génériques ont significativement réduit leur offre de produits abordables tels que le paracétamol, faute de rentabilité, face au plafonnement du prix des médicaments et à la flambée des coûts de production.
La réponse de l’UE, dont la proposition de révision de sa politique pharmaceutique est attendue pour mars, aurait entre autres pour ambition de réduire de 10 à 8 ans l’exclusivité commerciale accordée aux laboratoires détenteurs de brevets. Allié à une simplification des procédures d’autorisation des génériques, le projet veut permettre une arrivée plus rapide sur le marché des génériques, synonyme de baisse des prix des produits et de réduction des inégalités géographiques dans l’accès aux médicaments.
Cette proposition est critiquée par les représentants de l’industrie pharmaceutique, qui craignent que cette amputation d’une partie de leurs revenus ne résulte en un ralentissement des investissements dans la recherche médicale.
SOMMET DE KIEV • Le 3 février, le 24e sommet UE-Ukraine a eu lieu à Kiev. Il s'agit du premier sommet conjoint depuis le début de la guerre et depuis que l'Ukraine a obtenu le statut de candidat à l'UE. La délégation de l'UE comprenait Ursula von der Leyen, Charles Michel et seize commissaires européens. Parmi les sujets à l'ordre du jour figuraient les sanctions économiques contre la Russie, le soutien militaire, diplomatique et financier de l’UE et la sécurité alimentaire.
Le président Zelensky a bon espoir de continuer à recueillir le soutien de l'Occident. Après avoir obtenu des chars de combat, Politico rapporte que l'Ukraine a fait plusieurs demandes d'avions de combat. Dans les cercles politiques américains, la demande sera prise en compte. Le chancelier allemand a réaffirmé que Berlin n'enverrait pas d'avions de combat, par crainte d'une escalade de la guerre.
Nos lectures de la semaine
Dans le New York Times, Steven Erlanger soutient que la guerre en Ukraine a redistribué les cartes du pouvoir en Europe. Sur Twitter, Mujtaba Rahman explique les raisons de son désaccord.
Dans le South China Morning Post, Kandy Wong s’intéresse à la découverte de terres rares en Europe, qui pourrait réduire la dépendance du continent vis-à-vis de la Chine.
Cette édition a été préparée par Battiste Murgia, Gautier Parthon de Von, Julie Houillon-Leonis, Maxence de La Rochère et Augustin Bourleaud. À lundi prochain !