Le 9 mai, journée de l’Europe, est l’occasion pour nous de partager quelques réflexions sur la façon que nous avons de parler de l’Union européenne. Cette tribune est aussi publiée dans Les Échos (abonnés uniquement) et dans les colonnes de Marianne. C’est aussi une façon d’expliquer pourquoi nous écrivons chaque semaine cette newsletter, avec la participation d’une équipe de 32 de rédacteurs. Bonne lecture !
Parler d’Europe
Alors que la Commission européenne inaugure ce week-end la grande conférence sur l’avenir de l’Europe, pour que chacun des citoyens puisse "contribuer à façonner notre avenir commun" le futur, l'Union européenne est encore une force politique qui s’ignore et que l’on ignore.
Robert Schuman déclarait le 9 mai 1950 que “l’Europe ne se fera pas d’un coup, ni dans une construction d’ensemble : elle se fera par des réalisations concrètes créant d’abord des solidarités de fait”. Mais ces réalisations concrètes passent constamment sous les radars, et les solidarités de fait restent, le plus souvent, largement incomprises. L’Europe se fait, sans que l’on s’en rende compte. Dans la technocratie selon ses détracteurs, dans l’absence de conscience d'elle-même en réalité.
La complexité institutionnelle n'aide pas.
Le Plan de relance européen, décidé lors du sommet des 17-21 juillet 2020 en est une illustration flagrante. Comment expliquer que personne ne sache expliquer que la "Facilité pour la reprise et la résilience" du plan de relance "Next Generation EU" ait été retenue en otage par une procédure devant la Cour constitutionnelle fédérale d’Allemagne à propos de la ratification de la “décision sur les ressources propres de la Commission européenne” ? Le fonds de relance européen et ses 750 milliards représentent une avancée considérable : grâce aux transferts aux transferts fiscaux entre États membres — 52% des fonds sont des subventions, et non des prêts — et au au financement par l’émission d’obligations européennes.
Il s’agit d’une réalisation concrète créant une solidarité de fait, jusqu'ici l'Allemagne avait catégoriquement rejeté l’idée d’une dette commune européenne. Et sans doute l’une des plus importantes de la décennie au niveau européen avec le tournant monétaire opéré par la BCE avec son programme d’achat d’actifs de crise, le Pandemic Emergency Purchase Programme.
Construire un récit incarné.
Certains ont parlé d’un "Plan Marshall européen" à propos du Plan de relance européen. À raison, puisque les 14,3 milliards de dollars du plan américain de 1948 représentent aujourd’hui environ 674 milliards d’euros. D’autres ont évoqué un “moment hamiltonien”, en référence à la création d’une dette commune au niveau fédéral, l’un des actes fondateurs de la fédération des États-Unis. Dans le cadre de ce plan de relance européen. Hamilton, Marshall : les images évocatrices viennent toujours d’ailleurs.
L’Union manque de mots et de concepts clairs pour expliquer des projets nécessairement complexes du fait des intérêts conjugués de 27 États membres. L’Union européenne doit incarner son récit et son imaginaire propres, et éviter le juridisme d’un discours apolitique. Des communiqués aux conférences de presse, les institutions produisent une quantité impressionnante d'informations et d’éléments de langage, mais le storytelling européen n’imprime pas. Les institutions européennes doivent sortir d’une communication “corporate” et se rendre davantage là où les conversations se déroulent, notamment les espaces publics nationaux.
En France, mieux couvrir l'Union européenne.
L’Union européenne n'occupe que 2,7% des sujets des journaux télévisés, selon une étude de la Fondation Jean Jaurès. Comment justifier que l’investiture du président des États-Unis occupe l’antenne toute la journée et que le discours sur l’état de l’Union de la présidente de la Commission européenne soit snobé ? En France, on est obligé d'inciter financièrement les rédacteurs en chef pour qu'ils parlent de l'Union européenne, alors que son activité réglementaire impacte non seulement le droit national et les entreprises et citoyens français mais représente aussi un instrument de soft power international, le fameux “effet Bruxelles” théorisé de l'autre côté de l'Atlantique par Anu Bradford.
L’Europe ne devrait pas être traitée à part, mais au sein de chaque sujet dans lequel elle intervient. Les émissions qui lui sont consacrées (notamment “Drôle d’Europe”et “La faute à l’Europe” sur France Info TV) ont le mérite de la pédagogie, mais la logique voudrait qu’on donne la place qu’elle a à l’Europe dans l’information au quotidien plutôt que de lui consacrer des émissions ponctuelles sur des chaînes sans audience le dimanche à 15h10.
À se contenter de parler de l'Europe comme un Français ou d’un Allemand, on occulte l’Union européenne comme force politique propre. En témoigne le fait que le traitement le plus approprié de l’UE soit le fait de publications étrangères à l'Union européenne : The Financial Times, Politico, Bloomberg. À regarder de trop près, on voit flou. La médiatisation de l’Union européenne souffre à la fois de surpondération et de sous-pondération : on parle trop de ce que fait la Commission européenne sur les chantiers de l’Atlantique à Saint-Nazaire, pas assez des décisions de la Cour constitutionnelle fédérale de Karlsruhe, et pas du tout du fonctionnement du plan de relance européen.
well done! Il est certain que l'Union Européenne souffre d'un déficit d'incarnation. Peut-être faut-il être patient ou peut-être le concept est-il peut-être dépassé par celui du citoayn du monde?