Les sociaux-démocrates du SPD, les écologistes de l’Alliance 90 / Les Verts et les libéraux du FDP sont parvenus à un accord de coalition le mercredi 24 novembre. — 🇩🇪
Cette coalition sémaphore marque une nouvelle étape pour l’Allemagne et l’Union européenne après seize années marquées par les turbulences du monde et la stabilité à la chancellerie fédérale.
What’s up EU s’est entretenu avec Massimo Nava, journaliste au Corriere della Sera, éditorialiste à Paris.
Il est l’auteur de Angela Merkel, la femme qui a changé l’Histoire (2021).
Que retiendra-t-on d’Angela Merkel ?
Angela Merkel est un peu la chancelière des crises. Les vingt années au cours desquelles Merkel était au premier plan ont été marquées par le « retour de de l’Histoire » : le terrorisme international qui frappe l’Europe dès 2005, les crises migratoires, les crises économiques et enfin la crise sanitaire.
Sans être le flamboyant acteur principal d’une histoire frappante comme Helmut Kohl, Angela Merkel restera dans l’histoire comme un leader qui a réussi à empêcher l’implosion de l’Europe, avec et par pragmatisme. Elle a guidé l’Allemagne avec responsabilité dans une période où le précipice a souvent été proche.
Ce qui distingue Angela Merkel est indéniablement l’art du compromis. En 1995, Angela Merkel présidait la première conférence de l’ONU sur le climat à Berlin. À l’issue de la conférence, elle déclare que si personne n’est content cela voulait dire qu’un bon compromis avait été trouvé.
C’est à la fois un trait de caractère propre à la chancelière mais également le système politique allemand qui veut cela. Les pouvoirs du chancelier sont limités par une forte décentralisation dans les Länder et par la présence d’institutions à l’indépendance forte — que ce soit la Bundesbank ou la Cour constitutionnelle fédérale de Karlsruhe.
L’Allemagne ne connait pas d’élections anticipées intempestives comme en Italie, ni une centralisation à la française ou un bipartisme à l’anglaise. Le système et la culture politique allemandes sont caractérisées par la nécessité du compromis — il faut se rappeler qu’Angela Merkel a été à la tête de trois coalitions sur quatre mandats.
De la crise migratoire en 2015 au plan de relance européen, Angela Merkel n’a pas hésité à nager à contre-courant de son camp. Au fond, a-t-elle été une chancelière conservatrice ?
Certains ont pu dire qu’Angela Merkel a été le meilleur chancelier de l’histoire du SPD. Mais entendons-nous déjà sur les termes. Angela Merkel a toujours été engagée au sein de la famille chrétienne-démocrate, son éthique personnelle est empreinte de ces valeurs. Angela Merkel est un enfant de la guerre froide, naturellement tournée vers les États-Unis et en faveur de l’économie de marché.
Pour autant, Angela Merkel a su transformer et moderniser la CDU pour en faire un parti ouvert sur les questions sociétales — de l’interruption volontaire de grossesse au mariage homosexuel.
La présentation faite de la crise migratoire et de la décision de l’Allemagne « d’ouvrir les portes » à un million de réfugiés est souvent mal cadrée. Angela Merkel n’a pas à vrai dire ouvert les portes à ceux qui fuyaient la guerre en Syrie —elle a plutôt décidé de ne pas les fermer. Sans cette décision, nous nous dirigions tout droit vers une catastrophe humanitaire aux portes de l’Europe, dont la crise biélorusse nous rappelle le potentiel tragique. Angela Merkel a pris la responsabilité politique de faire quelque chose.
Le pragmatisme et le sens du compromis ne sont jamais bien loin. En 2015, il est évident que la chancelière raisonnait en prenant en compte le déficit démographique de l’Allemagne. En poussant pour un accord financier avec la Turquie pour externaliser la gestion des migrants, la chancelière montre qu’il faut privilégier la realpolitik aux grands discours.
De même, le discret soutien à Mario Draghi — sans lequel le « whatever it takes » n’aurait pas été possible — lui a permis de conserver un discours dur à l’égard de la Grèce comme l’imposait la situation politique interne à l’Allemagne. En 2020, l’accord d’Angela Merkel a été crucial pour mettre l’Union européenne d’accord sur un plan de relance européen et l’émission d’une dette commune. Lorsque Merkel met tout son poids derrière un plan de relance qui alloue plus de 200 milliards d’euros à l’Italie, elle est bien consciente de l’intégration économique entre l’Allemagne et le Nord de l’Italie — spécifiquement dans le secteur automobile.
La perception d’Angela Merkel a beaucoup changé en Italie avec Next Generation EU. On est passé de l’idée d’une Allemagne égoïste, hégémonique, autoritaire, à une forme de respect pour un pays qui fait avancer les choses avec pragmatisme. Angela Merkel est en quelque sorte passée de l’image de la marâtre à celle de la maman. La conversion de nombreux partis de droite à des positions pro-Allemandes est intéressante à cet égard.
Le traité du Quirinal entre la France et l’Italie va-t-il rééquilibrer une Union dominée par l’axe Paris-Berlin ?
Au plan européen, le traité du Quirinal va dans le sens d’une Union qui prend plus de décisions à la majorité qualifiée et non à l’unanimité, ce qui semble avoir l’assentiment d’Olaf Scholz et de ses partenaires de coalition.
Après la sortie de la Grande-Bretagne de l’Union et l’élection de Mario Draghi, la marge de manœuvre de l’Italie s’est accrue. Le charisme, l’expérience et le prestige international du Mario Draghi y sont pour beaucoup. Mais il faut bien avoir à l’esprit que les locataires du Palais Chigi sont particulièrement précaires.
On ne sait pas bien ce que va devenir Mario Draghi à moyen terme, d’où ma réserve à trop mettre l’accent sur la force du couple « Dracon ». La France elle aussi va entrer dans une période incertaine, avec une élection présidentielle très ouverte. La politique intérieure dicte souvent les positions prises au niveau de l’Union — il faut garder cela à l’esprit.
Que laisse entrevoir l’accord de coalition présenté par les futurs partis de gouvernement à Berlin ?
Une page importante se tourne et la publication de l’accord de coalition marque déjà le début d’une autre ère. Tout d’abord, l’accord de coalition — un document de 177 pages négocié pendant deux mois par plus de trois-cents personnes — est une grande preuve de la santé démocratique allemande. Il s’agit d’une véritable bible du gouvernement à venir, dont la précision est très typique des Allemands.
Cette coalition mêle trois partis aux programmes très différents. Ce qui n’a pas empêché le compromis d’accoucher sur un programme ambitieux. Le fait de donner les rênes de la politique étrangère à Annalena Baerbock et aux Verts est une décision qui aura des conséquences importantes. Le leader des Verts, Robert Habeck hérite d’un ministère élargi, qui devra s’attaquer à la transformation écologique et digitale d’un pays qui en a bien besoin.
Christian Lindner, qui succèdera à Olaf Scholz au ministère des finances, a déjà mis de l’eau dans son vin en soutenant une réforme du Pacte de stabilité et de croissance. L’accord de coalition, publié ce 24 novembre ne ferme pas totalement la porte à ce que d’autres instruments succèdent aux eurobonds. Si la solidarité fiscale et les eurobonds sont des lignes rouges pour une partie de l’électorat allemand, la présence du FDP au ministère des finances ne devrait pas pour autant mettre en péril l’héritage des années 2020 et 2021 sur ce sujet.