Stripe, entreprise leader dans les paiements en ligne, a travaillé avec l’agence B2B International, pour interroger près de 200 entreprises utilisatrices de Stripe, dont Doctolib ou TicketSwap, sur l’environnement dans lequel évoluent les entreprises technologiques et les startups en Europe.
On a posé quelques questions sur les enseignements de ce rapport à Pierre Byramjee, directeur du développement pour la France et l'Europe du Sud de Stripe.
Le rapport est disponible ici.
Pouvez-vous présenter rapidement les activités de Stripe, et les principales conclusions de l’étude que vous avez réalisée avec B2B International ?
Stripe est une plateforme d’infrastructure financière à destination des entreprises de toutes tailles. Nous mettons à disposition des entreprises tout ce dont elles ont besoin pour accepter et effectuer des paiements, lutter contre la fraude, à envoyer des factures, à gérer leurs modèles d’abonnement et proposons toute une série de services facilitant leur expansion internationale.
En ce qui concerne notre étude European Tech Voices, le principal enseignement est que bien que les startups européennes soient enthousiastes sur les opportunités que le marché européen a à leur offrir, elles n’estiment cependant pas que l’environnement législatif soit actuellement adapté pour soutenir leur croissance.
Elles reconnaissent certains avantages, qu'il s'agisse du recrutement des talents ou de la proximité géographique des différents marchés, mais elles estiment que les frictions réglementaires freinent le développement de leur activité.
Notre étude nous apprend que pour plus de la moitié des sondés (53 %) le temps passé à suivre les processus de conformité constitue la plus grande menace pour leur entreprise. A tel point qu'une startup sur trois a envisagé de créer son entité ailleurs. Les startups souhaitent donc que les législateurs donnent la priorité aux politiques qui réduisent les « frictions ».
Plus en détail, pour 34% des startups, les réglementations à l'échelle européenne fournissent des règles utiles, mais dans la pratique la législation manque de cohérence d’un marché à un autre. Or, plus de la moitié pensent que si la législation européenne était harmonisée, ils seraient en mesure de se lancer sur davantage de marchés.
Le rapport nous révèle aussi que les startups européennes pensent que l'élaboration des politiques est orientée vers les entreprises historiques déjà installées, qui disposent de plus de temps et de moyens. Ce qui laisse une très grande majorité d’entre elles penser que les décideurs politiques ne comprennent pas les réalités auxquelles elles sont confrontées. Mais plutôt que d'appeler à un grand bouleversement des réglementations, leurs besoins semblent être liés à l'économie de temps et de ressources, comme une généralisation des processus digital first qui pour 36% des startups est perçue comme une pratique qui aurait un impact significatif sur leur fonctionnement.
Pourtant, des bonnes pratiques existent. Les sondés mettent par exemple en avant le succès des startups dans les pays baltes, démontrant qu'une politique publique qui réduit les lourdeurs administratives peut favoriser la croissance des jeunes entreprises. Un succès qui s’expliquerait par une augmentation des services administratifs en ligne et une réduction des obstacles réglementaires.
Ces contraintes et lenteurs administratives pèsent sur l’image qu’ont les startups sur le marché européen. C’est pourquoi seulement 20% d’entre elles pensent que l'Europe sera le leader mondial du secteur technologique au cours de la prochaine décennie.
Le marché unique demeure toujours un projet plutôt qu’une réalité. La fragmentation juridique au sein de l’UE représente un coût important pour les startups en termes de compliance et peut être perçu comme un frein à l’expansion. Des règlements applicables uniformément à l’échelle de l’UE, tels que le Digital Markets Act ou le Digital Services Act, sont-ils toujours préférables à un patchwork de législations nationales ?
Les Digital Markets Act et Digital Services Act sont deux propositions sœurs qui vont dans le bon sens pour réglementer l’espace numérique européen. Héritage du passé, la fragmentation juridique et administrative reste un frein à l’expansion des startups.
Nous sommes en phase avec l'objectif de la Commission européenne d'achever le marché unique numérique et de garantir un environnement en ligne sûr et compétitif afin que les entreprises puissent prospérer et que les consommateurs soient protégés.
De même, nous pensons qu'une politique publique et une réglementation intelligentes peuvent favoriser la croissance. L'UE a par ailleurs déjà montré qu'en matière de réglementation financière, par exemple, de nouveaux cadres réglementaires peuvent accélérer l'innovation. DSP2 a ainsi été un catalyseur essentiel du succès de la fintech européenne.
Cependant, et compte tenu notamment de l'environnement économique actuel, les décideurs politiques doivent désormais se concentrer principalement sur l'exécution implacable de ces règlements, sur l'EIS ou d'autres initiatives comme Scale Up Europe ou Startup Nations Standard. Ce sont leur exécution et la mise en application qui sont essentielles, sans doute maintenant plus que jamais.
Les startups interrogées considèrent que la politique européenne favorise les entreprises établies par rapport aux startups. La Commission européenne a beaucoup mis en avant le fait que le Digital Markets Act devait au contraire permettre plus de concurrence des jeunes pousses face aux acteurs dominants. Est-ce que ce texte change la donne ?
L'UE a montré qu'en matière de réglementation financière, par exemple, de nouveaux cadres peuvent accélérer l'innovation et permettre plus de concurrence comme le démontrent les résultats de l’étude. La DSP2 a été un catalyseur essentiel du succès des Fintech européennes. Près des trois quarts (70 %) des startups interrogées dans notre enquête considèrent que le SEPA et la DSP2 constituent un grand progrès et 62 % estiment que l'open banking dans les services de paiement est un exemple de réglementation qu'ils aimeraient voir se reproduire ailleurs.
L’étude suggère de s’inspirer des pays baltiques et des fintechs en matière de politiques publiques pro-innovation. Que retenez-vous de ces success-stories qui pourrait avoir vocation à trouver une application à l’échelle de l’UE ?
Le succès des startups dans les pays baltes montre qu'une politique publique intelligente, qui réduit les procédures lourdes et respecte les engagements du digital first, peut stimuler l'écosystème.
Les États baltes sont considérés par les startups interrogées comme ayant l'approche la plus innovante en matière de réglementation. Les services administratifs en ligne et des politiques numériques solides sont à l'origine de cette perception. Les pays baltes sont également cités comme ayant moins d'obstacles bureaucratiques et réglementaires.
Pour ce qui est du secteur des Fintech, comme précédemment évoqué, ce secteur a bénéficié d'une réglementation qui a été faite pour favoriser la concurrence et l'innovation. On peut dire que c’est un succès puisque le SEPA et la DSP2 sont aujourd’hui plébiscitées par les startups. C’est un bon exemple de la manière dont la concertation et une communication régulière entre les pouvoirs européens et l’écosystème des startups, il est possible de mettre en place des réglementations qui vont faciliter l’émergence de champions européens.
L’étude se concentre sur les changements réglementaires qu’il conviendrait d’apporter pour faciliter l’expansion des startups en Europe. Le financement en capital, notamment d’amorçage, est évidemment plus important aux États-Unis. Les fondateurs de Stripe, Patrick et John Collison sont irlandais mais l’entreprise a été fondée à Palo Alto, et a reçu ses premiers financements de Sequoia Capital, Andreessen Horowitz, ou encore de Peter Thiel.
Que peut-on faire en Europe pour accroître la disponibilité de financements en capital, à l’heure de la fin de l’argent “gratuit” avec la hausse des taux ?
Stripe a en effet de fortes racines européennes, mais il y a 10 ans, lancer Stripe en Europe aurait été tout simplement impossible. Beaucoup de choses ont changé pour le mieux au cours de la dernière décennie en Europe, et nous voyons maintenant le marché européen être leader dans des secteurs comme la fintech ou la télémédecine, et de plus en plus avec les plateformes SaaS, et nous sommes ravis d’accompagner la plupart de ces réussites européennes.
Bien que les conditions aient récemment changé, le financement des startups européennes a atteint un niveau record et l'Europe a produit deux fois plus de licornes que les États-Unis en 2021. Maintenant la question est : comment pouvons-nous construire là-dessus ? Chez Stripe, nous croyons au pouvoir des économies connectées : nous avons créé notre produit de paiement parce qu'il était si difficile pour les entreprises de vendre à l'international. Il est important de veiller à ce que toute initiative législative permette à l'Europe de continuer à renforcer son rôle de leader en tant qu'économie véritablement mondiale.
Bien que les défis auxquels les entreprises sont confrontées soient complexes et en constante évolution, les résultats de l’étude nous montrent que les fondements du succès exigent l'efficacité. Les réglementations et les processus qui simplifient la friction réduiront finalement le temps, et par conséquent les ressources que les startups doivent encore aujourd’hui consacrer à la compréhension et mise en pratique de ces processus. La maximisation des ressources des startups sera essentielle alors qu'elles cherchent à faire face aux intempéries économiques mondiales.
Quelles sont vos recommandations aux décideurs publics européens ?
Sur la base de ce que nous disent les startups européennes, l'Europe peut s'attaquer aux obstacles existants notamment en :
Mettant en œuvre les politiques et initiatives existantes conçues pour supprimer les obstacles à la croissance.
Harmonisant les régimes réglementaires, en réduisant les frictions et en maximisant la croissance.
Mettant en place des guichets uniques pour orienter les entrepreneurs européens.
Augmentant la numérisation des services publics impliqués dans la création et le développement d'une entreprise.
Mettant en place une communication plus structurée entre les startups et les décideurs politiques pour s'assurer que les priorités des startups se reflètent dans l'élaboration des politiques européennes.