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Thomas
La solidarité énergétique de l’UE à l’épreuve du gaz russe
Le 26 juillet, le Conseil de l’UE est parvenu à un accord sur la proposition de plan de réduction de demande de gaz de 15% — soit 45 milliards de mètres cubes —, formulée le 20 juillet par la Commission européenne. Cet accord intervient quelques jours après l’annonce, par Gazprom, de la réduction des livraisons de gaz à destination de l’UE via la pipeline Nord Stream I.
LEX • L’accord politique porte sur une “réduction volontaire de gaz naturel cet hiver” de 15% par rapport à la moyenne des cinq dernières années, entre le 1er août 2022 et le 31 mars 2023. A aussi été décidée la mise en place un mécanisme d’alerte en matière de sécurité d’approvisionnement — la réduction pourrait ainsi devenir obligatoire en cas d’urgence.
Les vingt-sept ont convenu de privilégier les mesures de réduction de la demande de gaz ne touchant pas les “clients protégés”, i.e. les ménages et les services essentiels. La piste privilégiée consiste donc la réduction de la consommation de gaz dans le secteur de l’électricité, l’incitation des entreprises à changer de combustibles et la sensibilisation des consommateurs.
Le mécanisme d’alerte serait activé par un vote du Conseil de l’UE, sur proposition de la Commission, en cas de risque important de pénurie grave, de demande exceptionnellement élevée, ou si cinq États membres minimum ayant mis en œuvre leur mécanisme d’alerte nationale le demandent à la Commission.
Ces mesures vont-elles permettre d’atteindre les 15% espérés ? Peu probable, selon Daniel Gros du Centre for European Policy Studies, qui pointe du doigt leur caractère volontaire et le maintien des dispositifs de plafonnement de prix et autres ristournes, qui n’ont pas d’effet significatif en matière de consommation.
None of these measures would achieve any meaningful reduction in gas consumption. The Commission and the Council are clearly avoiding the key issue, namely the need for higher prices, both for consumers and industry. The objection to higher prices is of course that they are politically toxic. But the inconvenient reality is that unless it costs more, few will ‘voluntarily’ reduce their gas consumption.
DIVISIONS • La proposition de la Commission envisageait un objectif de 15% pour l’ensemble des États membres de l’UE. Elle a suscité l’opposition de pays tels que la France, l’Espagne, l’Italie, la Grèce, peu satisfaits de l’absence de prise en compte des différences de mix énergétique et du manque d’interconnexion entre réseaux énergétiques.
Les contraintes de capacité sont importantes : il n’est pas évident de faire parvenir du gaz naturel liquéfié (GNL) à l’ensemble du continent, et spécifiquement aux pays enclavés ou ne disposant pas de terminaux de regazéification, peu nombreux sur le continent. L’Allemagne est actuellement en train de construire son premier terminal pour LNG flottant, lequel ne sera certainement pas prêt d’ici l’hiver prochain.
Économiser du gaz en Espagne se ferait en pure perte, étant donné l’absence de pipelines reliant la péninsule ibérique au reste du continent. De ce fait, les prix du gaz évoluent assez différemment au sein de l’UE, la hausse étant nettement moins marquée en France et en Espagne qu’en Allemagne ou aux Pays-Bas.
Certains soulignent par ailleurs l’ironie de demander à l’Europe du Sud, largement victime de l’orthodoxie allemande pendant la crise de la zone euro, de faire des efforts pour une Allemagne excessivement dépendante de Moscou, malgré les mises en garde de ses voisins d’Europe de l’Est et des États-Unis, et trop erratique dans son choix d’abandonner le nucléaire.
Comme le souligne Maria Tadeo dans les colonnes de Bloomberg :
“Germany’s reliance on Russia has exposed the flaws of its economic model — high-intensity industry running on cheap gas — and the blindness of its political class to its dependence on the Kremlin. While Berlin is still coming to grips with the shock, Europe’s South is growing assertive”.
La situation actuelle donne des ailes aux partisans d’une réforme de la tarification de l’énergie, Italie et France en tête. Le prix est fixé au coût marginal de la dernière unité produite, quelle que soit la méthode utilisée — c’est pourquoi le prix de l’électricité est lié au prix du gaz. La Grèce a récemment proposé le découplage entre le prix du gaz naturel et de celui de l’électricité, et a reçu le soutien de la ministre espagnole de la transition écologique Teresa Ribera.
DÉROGATIONS • L’accord trouvé Conseil ménage des exemptions et des dérogations à la règle des 15%, prix pour parvenir à un accord politique.
Les États membres de l’UE “qui ne sont pas interconnectés aux réseaux gaziers d’autres États membres” sont exemptés des réductions obligatoires de gaz. Ces États seraient dans l’incapacité de fournir les volumes de gaz économisés à leurs voisins, faute d’infrastructure.
Les États membres “dont les réseaux électriques ne sont pas synchronisés avec le système électrique européen et qui dépendent fortement du gaz pour la production d’électricité” font aussi l’objet d’une exemption. Les dérogations concernent les États membres qui ont dépassé leurs objectifs de constitution de réserve de gaz et ceux qui sont fortement dépendants du gaz pour certaines industries critiques.
La Hongrie s’est (seule) prononcée contre l’accord au Conseil. Le ministre des affaires étrangères hongrois s’est rendu le 21 juillet à Moscou pour demander des livraisons de gaz supplémentaires à destination de Budapest. Budapest compte interdire les exportations de gaz si la situation venait à se détériorer.
RÉCESSION • Le prix du gaz a fortement augmenté après que Gazprom a réduit ses livraisons de gaz via la pipeline Nord Stream I à 20% de sa capacité, citant des problèmes de maintenance de turbines liées aux sanctions occidentales. Les livraisons de Gazprom sont à leur plus bas niveau depuis 2008. Le prix, réévalué à la hausse, des contrats de gaz à terme (futures) indique que les marchés anticipent que cette dynamique se maintiendra pour encore quelques années.
L’Allemagne est dans tous les esprits. Si de nombreux États membres de l’UE sont moins concernés que Berlin par la réduction des livraisons russes, une récession en Allemagne affectera l’ensemble du bloc, alors que l’industrie allemande tourne déjà en sous-régime. Un arrêt complet des livraisons de gaz russe coûterait à l’Allemagne 220 milliards d’euros, selon la Bundesbank et fait craindre des effets à long terme sur la compétitivité de l’industrie allemande.
Le relèvement des taux par la Banque centrale européenne (BCE) le 21 juillet ajoute à ce panorama déjà lugubre — Goldman Sachs et JP Morgan prédisent que la zone euro entrera en récession cette année.
Nos lectures de la semaine
Pour l'Institut Montaigne, Marc Lazar revient sur la relation entre Sergio Mattarella, le politicien chevronné, et Mario Draghi, l'économiste qui n'a jamais affronté les électeurs et qui a pourtant dirigé l'Italie pendant un an, cinq mois et sept jours. Une "anomalie technocratique" dénoncée par Tommaso Grossi et Francesco De Angelis, qui plaident pour que l'Italie abandonne l'habitude de donner les clés du palais Chigi à des experts non élus.
Il est peu probable que l’arrivée d’un nouveau Premier ministre à Downing Street permette un dégel des relations entre l'UE et le Royaume-Uni, écrivent Fabian Zuleeg et Emily Fitzpatrick pour l'EPC. En ce qui concerne le dossier nord-irlandais, la Commission devra rester ferme, et peut-être attendre de nouvelles élections pour que des réels progrès soient possibles.
Daniel Gros, du CEPS, critique l’accord sur une réduction de 15 % de la consommation de gaz naturel dans l'UE. Laissons les marchés faire leur travail afin que ceux qui ont le plus besoin de gaz soient approvisionnés, soutient-il, et, si nécessaire, subventionnons les ménages les plus pauvres pour que tous soient chauffés en hiver.
La newsletter de cette semaine a été rédigée par Maxence de La Rochère et Thomas Harbor.