L’Union européenne était en négociation avec la Chine depuis 2014. Les négociations ont brusquement accéléré fin 2020, dans un contexte de transition présidentielle américaine. Un accord de principe sur un accord global sur les investissements (CAI) a été annoncé fin décembre 2020.
Le CAI a été suspendu en mai 2021, après les sanctions imposées par l’UE à la Chine, à laquelle ont répliqué des sanctions visant des personnalités politiques et des think tanks, dont le Mercator Institute for China Studies.
Notre invité
Nous en avons discuté avec François Chimits, analyste au Mercator Institute for China Studies (MERICS) et économiste au Centre d’études prospectives et d’informations internationales (CEPII). Il est spécialiste du développement économique de la Chine et de la politique commerciale européenne.
L’Allemagne a joué un rôle important dans la promotion de l’accord. Angela Merkel a réitéré son soutien au CAI lors de ses derniers échanges avec les autorités chinoises au mois d’avril. D’autres dirigeants comme Mario Draghi ont récemment apporté leur soutien à l’accord.
Quelles sont les avancées contenues dans cet accord qui justifient ce soutien de nombreuses capitales européennes ?
Dans leurs déclarations à l’été 2020, les autorités européennes étaient peu optimistes quant à une conclusion de l’accord avant la fin de l’année, objectif que s’étaient fixés les deux partenaires. L’accélération du processus semble être imputable à la Chine, probablement dans une tentative de prévenir la formation d’un consensus transatlantique contre elle. En effet, les engagements obtenus par l’UE ont été à bien des égards sans précédent pour la Chine. Les engagements d’efforts vers la ratification des conventions de l’Organisation Internationale du Travail (OIT) sur le travail forcé, sans précédent pour la Chine, représentent une concession importante au moins sur la forme. De même, les engagements en matière de level playing field, l’un des trois blocs de l’accord avec l’accès au marché et le développement durable, sont certes techniques mais touchent à des points de négociations dures pour la Chine. Ils expliquent en partie le soutien des États membres au CAI.
Deux autres explications peuvent être avancées pour expliquer l’adhésion, ou du moins dans un premier temps l’absence d’opposition au sein du Conseil, d’un côté une très forte traction de la Commission et de l’Allemagne, de l’autre l’aspect relativement consensuel au sein de l’Union des accords commerciaux. A ce titre d’ailleurs, la France qui de longue date manifeste des réticences aux ouvertures commerciales, fait plutôt figure d’exception. En effet, dans les États membres de l’Est, l’opportunité de développement économique semble prévaloir. Dans les États de l’Europe du Nord et l’Allemagne, l’ouverture fait peu débat au sein de sociétés empreintes de libéralisme en matière commercial et bien conscientes des intérêts de ses nombreux exportateurs. Mais aussi dans les pays du Sud comme l’Espagne et l’Italie, où ce type d’ouverture fait encore l’objet d’un consensus politique, y compris sur la gauche de l’échiquier.
Cependant, ce relatif consensus à l’échelle européenne s’effrite depuis début 2021. D’un point de vue économique, les avancées en matière de level playing field bénéficient surtout aux pays exportateurs et disposant de multinationales désireuses de se développer en Chine. D’ailleurs, pour les pays dépendants des importations, les subventions chinoises peuvent leur permettre d’accéder à des biens à des prix plus avantageux. Ces derniers sont donc moins enclins à défendre un accord qui ne leur apporte pas de bénéfice direct évident. La montée en puissance de la prise en considération des violations des droits de l’homme dans le Xinjiang dans les capitales européennes a ensuite fortement contribué à la perte d’attractivité de l’accord. En outre, les tensions d’approvisionnement lors de la crise sanitaire ont contribué à amoindrir l’appétence des opinions publiques pour l’ouverture commerciale, quand bien même ces tensions semblent avoir été moins fortes pour les chaînes de production les plus mondialisées.
Quelles sont les spécificités des engagements de level playing field du CAI ?
Ces engagements s’inscrivent dans un contexte plus large d’insatisfaction des autorités américaines et européennes vis-à-vis du fonctionnement de l’Organisation Mondiale du Commerce, et de sa capacité à permettre aux membres de se prémunir face aux distorsions de concurrence engendrées par le capitalisme d’Etat chinois. Aux côtés des Japonais, elles avaient initié des négociations trilatérales portant sur une réforme de l’organisation pour lui permettre de répondre plus efficacement aux distorsions chinoises qui échappent au cadre traditionnel mis en place à sa création en 1995. Ces négociations portaient sur trois sujets : la transparence, les subventions et les entreprises d’État, et les transferts coercitifs de technologie. Elles semblent avoir cessé début 2020 alors que les tensions commerciales transatlantiques rebondissaient et que la Chine et les États-Unis concluaient un accord commercial bilatéral, dit Phase 1.
Ces négociations trilatérales sur de nouvelles règles ont toutefois inspiré le texte du CAI, en particulier sur le volet transparence, où les autorités européennes ont obtenu la possibilité de demander des informations complémentaires sur les financements des entreprises chinoises aux autorités chinoises. Sur le volet périmètre des entreprises d’État, le CAI permet de clarifier le périmètre et de couvrir les entreprises d’État locales, qui représentent la moitié des entreprises d’État en Chine.
Sur le volet de la propriété intellectuelle, le mécanisme de règlement des différends de l’accord pourra être saisi en cas de non-respect par les entreprises chinois du droit chinois. Cette avancée, un peu étrange de prime abord, serait conséquente car si le droit chinois est considéré comme suffisamment protecteur en théorie, il existe en pratique de profondes lacunes dans sa mise en œuvre, en raison à la fois de l’absence d’indépendance du système judiciaire chinois vis-à-vis des autorités politiques et d’insuffisances en matière de formation au sein des instances locales.
Maintenant négociées avec la Chine, ces engagements constituent de fait un seuil minimum pour de futures disciplines dans le cadre d’une réforme de l’OMC, même en cas d’échec du CAI.
Le sort des Ouïghours est à présent un sujet de préoccupation largement partagé par la classe politique allemande. Par ailleurs on observe un changement de position de personnalités économiques allemandes comme le président de la chambre de commerce européenne en Chine, Jörg Wüttke.
Quels sont les changements de position de l’Allemagne spécifiquement ?
L’approche de la chancelière Angela Merkel, partagée par son successeur putatif Armin Laschet au sein de la CDU, reste largement dans la ligne historique qui prédominait en Occident depuis une quarantaine d’années d’engagement de la Chine. Cependant cette voie est régulièrement critiquée par l’opposition, notamment la nouvelle direction des Verts, mais également au sein même de la CDU, par des figures comme le député au Bundestag Norbert Röttgen. Même la fédération des Industries allemandes (BDI) fait état depuis quelques années de réticences grandissantes vis-à-vis du dirigisme chinois. Ces évolutions s’expliquent à la fois par l’affirmation des ambitions chinoises sur les plates-bandes des entreprises allemandes, les interrogations sur les vertus politiques de cette approche et par une dégradation générale de l’image de la Chine dans l’opinion publique.
Avec l’annonce le 22 mars 2021 par le ministère des Affaires étrangères chinois de sanctions contre des citoyens et des institutions européennes, dont des parlementaires européens, l’opposition au CAI s’est renforcée. Dans un vote du 20 mai, les parlementaires européens ont à une grande unanimité décidé de suspendre toute démarche de ratification de l’accord tant que les sanctions resteront en vigueur.
Quelles sont les marges de manœuvre pour désamorcer les tensions autour du CAI et reprendre le processus de ratification ? L'initiative reviendra-t-elle à la Chine ou à l’Union européenne ?
Le Parlement européen a endossé le rôle médiatique d’opposition à l’accord, position formalisée récemment par un engagement de non-ratification tant que les sanctions chinoises frapperont certains de ses membres. Même avant ces sanctions l’accord ne semblait pas recueillir suffisamment de soutien pour obtenir une ratification. L’EPP était le seul groupe où pointait une majorité favorable à l’accord. Mais cette position arrange surtout certains États membres qui s’épargnent des difficultés politiques à la fois vis-à-vis de leurs opinions publiques et de cet imposant partenaire que sait être la Chine. C’est le cas en France, où l’agenda de ratification initialement prévu pour le premier semestre 2022 aurait coïncidé avec la campagne présidentielle. Sa défense aurait été difficilement tenable dans un pays historiquement défavorable au libre-échange et avec une majorité présidentielle soucieuse des questions de droits humains.
La balle est désormais dans le camp de la Chine, si celle-ci n’a pas encore indiqué souhaiter lever les sanctions, elle a jusqu’à présent confirmé son intention de ratifier les conventions de l’OIT, ce qui pourrait relancer le dialogue. Toutefois la Chine risque d’être déçue car ses efforts seraient loin de garantir la ratification de l’accord. De manière sincère ou cynique, un échec du CAI pourrait alimenter du ressentiment côté chinois.
La coopération climatiques et la protection de la biodiversité est le principal sujet évoqué à l’approche des COP26 (Glasgow) et COP15 (Kunming). La rencontre entre Frans Timmermans et Han Zheng en février 2021 en est une bonne incarnation diplomatique de celle-ci. Xi Jinping, Angela Merkel et Emmanuel Macron l'ont également abordé lors d’un échange téléphonique mi-avril. En outre, avant l’instauration des sanctions, et bien que ce cadre de discussion soit de plus en plus contesté, la Chine avait promis au cours du sommet 17+1 de février 2021 de doubler ses importations de produits agricoles sur les cinq prochaines années.
Quelles sont les coopérations non-économiques envisageables et crédibles à court terme?
Les nouvelles ambitions environnementales annoncées par Xi Jinping, en particulier l’objectif de neutralité carbone à horizon 2050, sont probablement sincères, et à visée premièrement domestiques. Elles peuvent donc légitimement faire l’objet de collaborations internationales et pourront contribuer à nuancer les discours d’opposition frontale. Les discussions entamées à l’OMC sur la pêche et les limites à la surpêche, pour lesquelles une conclusion est ambitionnée en 2021, pourraient fournir un premier test pour cette volonté chinoise de coopération positive sur des sujets environnementaux, où les intérêts fondamentaux sont nécessairement convergents.
Les autres perspectives sont moins réjouissantes, les discussions sur le renouvellement du cadre général de coopération sur la recherche et l’innovation entre l’Europe et la Chine semblent pour le moment suspendues. Sur la politique de renégociations des dettes notamment de pays africains menées dans le cadre de l'accord de Paris, la Chine n’a pas démontré sa volonté de s’inscrire dans un cadre multilatéral et transparent. La tendance à l’échelle multilatérale est à un rapprochement des affinitaires (like-minded)pour formuler une position commune vis-à-vis de la Chine. Si les autorités françaises et allemandes ont insisté sur le besoin d’éviter la constitution d’une opposition commune, cette approche moins confrontationnelle doit encore faire ses preuves.
La Commission européenne a été sous le feu des critiques sur sa politique vis-à-vis de la Chine, accusée d’être trop naïve. Elle met en avant de nouveaux outils qui doivent réorienter sa relation avec Pékin. Elle propose de nouveaux mécanismes de contrôle des subventions étrangères, a revu en profondeur sa propre stratégie industrielle et cherche à se défaire des dépendances dans les secteurs stratégiques des semi-conducteurs ou des batteries.
Ces efforts internes sont-ils en mesure d’atteindre les objectifs de rééquilibrage de la relation avec la Chine ?
Ces outils sont extrêmement importants, et représentent bien les évolutions considérables des discussions européennes ces dernières années. Ils ont repoussé le cadre traditionnel dans lequel la Commission évoluait, très libéral et multilatéral sur le plan commercial. Néanmoins leur effectivité va dépendre de la volonté politique des États membres à les mobiliser. L’affirmation par la Chine de son ambition d’indépendance technologique vis-à-vis des fournisseurs étrangers va très probablement rapidement permettre de tester cette capacité de l’Union à affirmer plus fermement ses intérêts. Malheureusement, les exemples récents de dissension, notamment côté hongrois, sur les sujets de droits de l’homme, présagent déjà de difficultés La Commission a intérêt à inscrire ces outils sur des terrains moins dépendants des États membres comme celui du droit de la concurrence plutôt que sur celui des politiques commerciales. Dans un passé qui parait presque lointain maintenant, des sanctions envisagées contre des entreprises chinoises subventionnées, notamment Huawei, avaient été abandonnées à la suite de menaces de rétorsion formulées par la Chine contre certains États.