La présidence française du Conseil de l'UE, vue du SGAE
Une conversation avec Sandrine Gaudin, secrétaire générale des affaires européennes
What’s up EU vous propose une série d’entretiens avec les acteurs de la Présidence française du Conseil de l’Union européenne (PFUE).
Nous nous entretenons avec Sandrine Gaudin, secrétaire générale des affaires européennes depuis 2017. Le Secrétariat général des affaires européennes (SGAE) a pour mission d’assurer l’unité et la cohérence des positions françaises tenues au sein de l’Union européenne.
Retrouvez aussi notre conversation avec Sabine Thillaye, présidente de la Commission des affaires européennes à l’Assemblée nationale.
Cet entretien a été conduit en partenariat avec la société française du Collège d’Europe.
À quoi sert la présidence tournante du Conseil de l’UE, et quelle marge de manœuvre donne-t-elle concrètement ?
Le principe de la présidence tournante du Conseil de l’UE a été mis en place dès le traité de Rome de 1957. Tous les six mois, à tour de rôle, les Etats membres assurent cette présidence dans l’ordre préétabli par une décision du Conseil[1]. Le rôle et les responsabilités d’une présidence sont multiples.
Tout d’abord, l’Etat membre qui détient la présidence préside toutes les instances préparatoires et les formations du Conseil, à l'exception de celles relatives aux affaires étrangères. Le Conseil étant une institution regroupant les Etats membres, ce sont les représentants de ces Etats qui assurent la présidence : les conseillers des Représentations permanentes auprès de l’UE pour ce qui concerne les groupes de travail ; les représentants permanents et les représentants permanents adjoints s’agissant respectivement du COREPER 2 et du COREPER 1, enfin les ministres pour le niveau décisionnel le plus élevé, qui est celui des formations thématiques du Conseil.
A part cette obligation juridique de présider les instances préparatoires (convoquer les réunions, diriger les discussions, etc.), l’Etat membre est chargé de conduire les négociations avec les 26 autres délégations. Le Conseil étant le-colégislateur de l’Union, chargé d’adopter les actes (règlements, directives et décisions), il incombe à l’Etat membre qui détient la présidence de chercher et élaborer des accords politiques dits « compromis de la présidence », et de proposer des positions communes. En outre, il entretient des relations étroites avec les autres institutions de l’Union impliqués dans le processus législatif, principalement la Commission (qui doit accepter les compromis proposés) et le Parlement européen (qui est le co-législateur). Ces trois institutions s’accordent sur les textes dans ce qu’on appelle « les trilogues ». L’Etat membre qui détient la présidence représente le Conseil au sein de cette instance.
Enfin, l’Etat membre assume pendant les six mois la charge de représenter l’UE dans le cadre des relations avec les pays tiers et les institutions internationales, en lien avec le Haut représentant pour les affaires étrangères et la politique de sécurité.
Par ailleurs, chaque présidence du Conseil de l’UE est l’occasion, pour l’Etat membre qui la détient, de mettre à l’agenda européen, le temps d’un semestre, ses propres priorités, voire sa vision politique pour l’Europe. L’Etat membre publie dans ce cadre son programme politique (ou de travail) dans lequel il met en avant les thèmes et projets qu’il souhaite privilégier parmi les dossiers en cours. Il ne dispose pas pour autant d’une liberté totale pour le faire : il doit en effet respecter un certain nombre de règles.
Tout d’abord, ce programme doit s’inscrire dans la continuité du plan de travail de la Commission et contribuer à mettre en œuvre les grandes lignes directrices ou orientations établies régulièrement par le Conseil européen.
Les dossiers législatifs qui font partie du programme politique sont sélectionnés à partir des propositions de directives, de règlements ou de décisions soumis par la Commission. L’action de l’Etat membre est donc circonscrite par l’agenda législatif de la Commission qui seule possède le droit d’initiative. Autrement dit, l’Etat membre ne peut pas proposer lui-même des initiatives législatives, mais il peut en revanche choisir, parmi celles présentées par la Commission, les initiatives qu’il souhaite inscrire dans son programme politique. Il y en a actuellement près de 250.
Mais même ici sa liberté n’est pas totale. L’Etat membre en cause doit en effet veiller à la continuation des négociations européennes des dossiers en cours, surtout lorsqu’elles sont en phase finale de leur adoption. Et compte tenu du fait que pendant la présidence française, la Commission, le Parlement européen et le Conseil européen sont à leur mi-mandat, beaucoup de textes se trouvent à un stade avancé de négociations qu’il incombera à la France de finaliser.
Ensuite, le programme politique doit refléter également le programme du « Trio » auquel l’Etat membre appartient.
En effet, depuis le 1er janvier 2007, le règlement intérieur du Conseil a institué un système fondé sur un programme de 18 mois arrêté par les trois présidences qui sont en exercice pendant la période concernée. Ce programme pluriannuel comporte des priorités communes pour les trois présidences et est le fruit d’un travail de coordination et de préparation de la part de toutes les parties. La France et les 2 autres Etats membres qui font partie du Trio, à savoir la République tchèque et la Suède, ont ainsi élaboré leur programme commun qui a été publié le 10 décembre 2021. Beaucoup de priorités de la PFUE y figurent.
La présidence du Conseil de l’UE comporte ainsi les deux aspects : l’un lié à la stricte fonction institutionnelle et l’autre à la dimension politique du projet de l’Etat membre pour l’Europe.
Quelles sont, selon vous, les dossiers sur lesquels la présidence française peut faire la différence ?
La présidence française a préparé son programme de travail et a déterminé ses priorités politiques en fonction des sujets qui sont d’une grande importance pour l’Union et qu’elle compte faire avancer pendant les six mois.
Avec pour devise « Relance, puissance et appartenance », la présidence française affiche un programme ambitieux qui peut être décliné en sept volets :
Transition écologique avec le pacte vert pour l’Europe et le paquet Fit For 55. Ce secteur représente des dizaines de textes et occupe une place importante dans le programme de travail de la PFUE. Les sujets sont très nombreux et à forts enjeux comme la lutte contre la déforestation, les pesticides, la lutte contre le plastique, etc. La PFUE souhaiterait avancer sur l’un d’entre eux en particulier : le mécanisme d’ajustement carbone aux frontières.
Europe de la sécurité : dans un contexte où les flux de migrants peuvent être utilisés à des fins de déstabilisation, une réponse européenne est indispensable. Elle nécessite la modernisation de l’espace Schengen et les réformes de son cadre et de sa gouvernance (en renforçant la réactivité en cas de crise) ainsi que des politiques d’asile et migratoires (qui piétinent au Conseil depuis longtemps). Le volet justice est également crucial avec des textes clés comme celui sur l’harmonisation de la pénalisation des atteintes au droit de l’environnement ou celui sur la lutte contre les crimes de haine.
Économie, croissance, industrie, emploi : l’objectif de la présidence française est d’aller vers une régulation plus forte des services numériques, vers un encadrement des financements en soutien à la décarbonation de l’industrie, mais aussi de faire avancer la politique spatiale ou la politique d’innovation ou généralement la politique industrielle. Ces politiques se déclinent autour du concept d’autonomie stratégique qui est au coeur des travaux de la présidence française.
Europe sociale : de nombreux textes sont sur la table des négociations dans ce domaine, tels la transparence salariale, les travailleurs des plateformes, les quotas de femmes dans les conseils d’administration, le salaire minimum, la lutte contre les violences faites aux femmes, et l’Europe de la santé (productions, déploiements et dons de vaccins).
Europe de la promotion des valeurs, jeunesse et mobilité : la Commission a déclaré 2022 l’année européenne de la jeunesse et la présidence française s’inscrit dans cette initiative avec notamment les célébrations autour des 35 ans d’Erasmus, le développement des universités européennes, les négociations sur les industries culturelles et créatives ainsi que la définition d’une œuvre européenne.
Europe acteur mondial, qui se projette à armes égales dans le monde, rétablit des conditions de concurrence équitables et qui se dote au niveau stratégique d’une vision commune de sa position dans le contexte géopolitique (boussole stratégique).
Préservation de l’Etat de droit : il y a lieu de réagir ensemble face à des menaces qui fragilisent les démocraties, comme c’est le cas en Pologne ou en Hongrie. Il s’agit aussi de trouver la confiance dans les relations avec le Royaume-Uni qui ne respecte pas l’accord signé avec l’UE.
Au travers de cet agenda, la France compte retrouver une Europe puissance d'avenir, c'est-à-dire une Europe apte à répondre aux défis climatiques, technologiques, numériques mais aussi géopolitiques, une Europe indépendante en ce qu’elle se donne encore les moyens, de décider pour elle-même de son avenir, et de ne pas dépendre des choix des autres grandes puissances. Enfin, la PFUE a pour ambition de montrer que l’Union européenne fonctionne et qu’elle délivre des résultats concrets et tangibles. C’est une présidence ambitieuse mais qui demeure réaliste.
Quel est le rôle du SGAE dans le déroulement de cette PFUE ?
L’organe de coordination interministérielle, le SGAE est un acteur majeur dans l’architecture institutionnelle de la PFUE. Il a joué un rôle primordial dans la préparation de la PFUE et reste aujourd’hui incontournable pour le déroulement réussi de la PFUE.
Dès l’automne 2019, le SGAE a entamé les préparatifs de la présidence en proposant au Premier ministre la création d’une instance dédiée, à savoir le Secrétariat général de la présidence française (SGPFUE) ainsi que le programme budgétaire spécifique destiné à financer l’ensemble des dépenses liées à la PFUE. Il a par la suite assisté le SGPFUE dans l’identification et la labellisation de près de 400 événements qui allaient être organisés en France pendant la PFUE. Il a par ailleurs entamé les travaux portant sur le futur site internet de la PFUE et a participé activement à sa création.
Le SGAE a mis en place et entretient le réseau des coordonnateurs PFUE dans chacun des 16 ministères qui sont devenus les points de contact pour toutes les questions se rapportant à l’organisation et au déroulement de la PFUE.
Le SGAE a joué un rôle essentiel dans l’élaboration du programme de travail et des priorités politiques de la PFUE en assurant la coordination interministérielle et en préparant les travaux du Comité interministériel pour l’Europe chargé de définir ce programme et ces priorités sous l’égide du Premier ministre et en lien étroit avec la Présidence de la République.
Enfin, en collaboration avec l’ENA et l’IGPDE, le SGAE a élaboré un plan de formation visant à préparer les agents de l’Etat à la PFUE. Entre septembre 2020 et fin 2021, le SGAE a organisé des formations mensuelles appelées « Journées de sensibilisation à la PFUE » qui ont permis à plus de 1300 agents d’acquérir des compétences et des connaissances nécessaires pour mener à bien la PFUE.
S’agissant du déroulement de la PFUE pendant le premier semestre 2022, le SGAE joue un double rôle.
D’une part, le SGAE est le garant de la bonne mise en œuvre des priorités de la PFUE et de la préservation de l’interministériel. En restant en contact constant avec tous les ministères, il s’assure que les difficultés les plus importantes sont bien identifiées, et ce suffisamment en amont pour être réglées. Plus précisément, le SGAE a adapté la coordination interministérielle au contexte spécifique de la PFUE tant pour la préparation des négociations au Conseil et au Parlement européen que dans ses activités d’information du Parlement national ou des diverses parties prenantes (société civile, entreprises…).
D’autre part, le SGAE préside les réunions du comité éditorial chargé d’examiner et de valider les contenus destinés à être publiés sur le site internet de la PFUE, sur les réseaux sociaux de la PFUE (Twitter, LinkedIn, Instagram et Facebook) ainsi que sur la chaine de YouTube dédiée à la PFUE.
Le Président de la République entend faire de l’Europe un thème important de la campagne présidentielle. Dans cette perspective, quelle influence la PFUE a-t-elle sur le quotidien des Français ?
À l’heure où nous répondons à cette question, le Président de la République, Emmanuel Macron, ne s’est pas déclaré candidat à l’élection présidentielle. Par conséquent, les thèmes de campagne présidentielle ne sont pas encore connus. Nous nous attèlerons dès lors à répondre seulement à la seconde question qui a trait à l’influence de la PFUE sur le quotidien des Français.
Les dossiers que la France compte faire avancer pendant sa présidence auront, une fois adoptés, un impact déterminant sur la vie quotidienne des Français. Et ce dans de très nombreux domaines qu’il s’agisse des mesures adoptées dans le cadre du Pacte vert (l’amélioration du climat avec l’objectif de la neutralité carbone en 2050), dans le domaine du numérique et de l’industrie (investissement dans les technologies du futur, construction d’un véritable marché unique du numérique permettant de créer des champions européens) ou encore dans le secteur social (en proposant aux travailleurs des emplois de qualité, qualifiés et mieux rémunérés). Par ailleurs, durant sa présidence, la France projette d’adopter la Boussole stratégique et de définir notre doctrine de sécurité propre, en complémentarité avec l'OTAN, permettant de donner tout son sens à l’Europe de la défense. Ces mesures apporteront des réponses très concrètes au quotidien non seulement des Français, mais de l’ensemble des citoyens européens.
A l’appui de ce travail législatif ambitieux, la présidence du Conseil de l’Union européenne est, pour chaque Etat membre qui la détient, l’occasion unique pour faire parler à ses citoyens de l’Union européenne. Cela se fait tout d’abord grâce à des campagnes de communication et de sensibilisation des citoyens, mais aussi grâce à des débats plus fréquents et approfondies sur les sujets européens d’actualité. S’ajoutent à cela les campagnes promotionnelles de l’Europe, telles les illuminations en bleu des principaux monuments dans les différentes villes françaises, et la très riche programmation culturelle centrée sur l’Europe.
Enfin, les 400 événements labéllisés PFUE qui vont être organisés pendant ce semestre le seront dans la quasi-totalité des territoires français. Cela permettra à tous les endroits qui accueilleront les événements PFUE de mettre en valeur leur héritage culturel, économique et gastronomique.
La participation des citoyens à la conférence sur l’avenir de l’Europe permet aussi de les associer aux réflexions sur l’avenir du projet européen. Cette conférence sera réunie au second trimestre pour conclure ses travaux.
[1] En dernier lieu décision (UE) 2016/1316 du Conseil du 26 juillet 2016 modifiant la décision 2009/908/UE, établissant les mesures d'application de la décision du Conseil européen relative à l'exercice de la présidence du Conseil, et concernant la présidence des instances préparatoires du Conseil.