La Commission relance le débat sur les infrastructures de réseaux
Mais aussi — Brexit, Ukraine, TikTok, Prix du CO2
Bonjour. Nous sommes le lundi 27 février 2023 et voici votre condensé utile d’actualité européenne.
Le Briefing
Le 23 février, la Commission a lancé sa grande concertation sur la contribution des Big Tech au financement des infrastructures de réseaux télécoms. Cette concertation s’inscrit dans un ensemble d’initiatives proposées par la Commission afin d’améliorer la connectivité internet de l’UE.
TÉLÉCOMS • Le débat n’est pas nouveau. Les grands opérateurs télécoms estiment que les Big Tech — Netflix, Amazon, Alphabet et Méta, pour ne pas les nommer — alimentent considérablement les besoins en connectivité sans pour autant participer au financement des infrastructures de réseaux.
Les télécoms s'appuient notamment sur un rapport rédigé pour l’ETNO (Association européenne des opérateurs de réseaux de télécommunication), selon lequel les entreprises de télécommunications de l’UE “ont investi 500 milliards d’euros dans les réseaux fixes et mobiles au cours des dix dernières années”.
Également selon ce rapport, un petit nombre de services OTT (Over-The-Top) représente aujourd’hui 55% de l’ensemble du trafic internet. Les télécoms veulent donc que les grandes entreprises qui fournissent ces services paient leur “fair share” des investissements dans les infrastructures de réseaux.
BIG TECH • Quant à eux, les Big Tech estiment qu’ils contribuent déjà au financement des infrastructures via leurs investissements dans les câbles sous-marins ou encore les data centers. Au total, ils estiment investir 22 milliards d’euros par an dans ces infrastructures en Europe. Par comparaison, les Big Tech seraient à l’origine de 15 à 28 milliards annuels de surcoûts de réseaux, d’après une étude commandée par Deutsche Telekom, Orange, Vodafone et Telefonica.
Selon la VOD Coalition, qui regroupe des plateformes de streaming comme Netflix ou Paramount, mettre davantage à contribution les Big tech pourrait mener à une baisse de leurs investissements dans les contenus.
Un autre argument pourrait particulièrement faire mouche auprès de la Commission : le principe de neutralité du net. Consacré par le droit de l’Union depuis le règlement 2015/2120 et réaffirmé par la Cour de justice depuis lors, il se traduit par une obligation d’assurer un accès égal au réseau et un traitement non-discriminatoire du trafic internet.
D’une part, une contribution trop élevée des Big Tech aux infrastructures pourrait remettre en question cette neutralité des réseaux. D’autre part, imposer une taxe aux fournisseurs de services signifierait que l'accès au réseau est réservé à certaines entreprises capables de payer cette taxe, ce qui pourrait également contrevenir à la neutralité du net.
Dans son communiqué de presse, la Commission a d’ailleurs pris soin de préciser son “fort engagement à protéger un internet neutre et ouvert”.
CONSULTATION • Réagissant à l’appel des télécoms, la Commission avait promis d’ouvrir une consultation sur ce sujet épineux. C’est désormais chose faite avec le lancement de la consultation “exploratoire” sur le futur de la connectivité et des infrastructures télécoms. Vous pouvez d’ores et déjà apporter votre pierre à l’édifice en y répondant via ce lien.
Devant l’ensemble des études et contre-études réalisées sur le sujet, la Commission rappelle qu’il “s'agit d'une question complexe qui nécessite une analyse exhaustive des données factuelles et quantitatives sous-jacentes avant de décider s'il est nécessaire d'entreprendre d'autres actions”.
POUR QUOI FAIR • Les objectifs de l’UE en termes de connectivité sont ambitieux et appellent d’importants investissements dans les années à venir. Il s’agit d’accélérer le déploiement de réseaux haut débit comme la fibre et la 5G, aujourd’hui jugés trop onéreux et trop lents à mettre en place.
L’objectif : connecter chaque citoyen européen au très haut débit d’ici 2030, par la fibre chez soi ou par la 5G en mobilité, avec en ligne de mire les innovations à venir comme la voiture autonome ou encore l’Internet des Objets (IoT).
S’ajoutant aux investissements, plusieurs aménagements réglementaires sont nécessaires afin d’atteindre ces objectifs. Ceux-ci ont été détaillés dans le communiqué de la Commission.
GIGABIT ACT • Premièrement, la Commission a annoncé une révision de la directive de 2014 relative à la réduction du coût du haut débit — BCRD pour les intimes — dont le bilan se révèle en demi-teinte du fait de divergences d’application entre Etats.
Cette directive révisée — le Gigabit Infrastructure Act — devrait permettre d’accélérer le déploiement d’équipements télécoms via la simplification et la digitalisation des procédures, mais aussi via une meilleure coordination entre les différents opérateurs impliqués — des étapes constituant près de 70% du coût de déploiement des réseaux télécoms.
D’autres mesures comme l’obligation de pré-équiper la fibre dans tous les bâtiments neufs figurent également dans le texte.
GIGABIT RECO • Un second instrument est le Gigabit Recommendation, un texte de droit souple adressé aux autorités de régulation nationales.
Il vise à trouver un équilibre entre l’intérêt légitime des opérateurs à disposer librement de leurs propres infrastructures — concrètement, des câbles et des antennes — et la nécessité de s’assurer que ces opérateurs maintiennent l’accès de tous — y compris des concurrents — aux infrastructures essentielles.
WHAT NEXT? • Le Gigabit Act doit maintenant être examiné par Parlement et le Conseil et la Gigabit recommandation approuvée par le BEREC, la réunion des Arcep européennes. Quant à la consultation, elle est ouverte pour 12 semaines sur cette page.
Pour plus d’informations sur cet ensemble d’initiatives, nous vous invitons à consulter la FAQ réalisée par la Commission.
Inter alia
BREXIT • Les négociations sur le protocole nord-irlandais entre le Royaume-Uni et la Commission se concrétisent. Ursula von der Leyen rencontrera Rishi Sunak à Londres dans la journée, signe qu’un accord est imminent – les parlementaires britanniques ont d’ailleurs été appelés à être présents à Westminster aujourd’hui.
Si le contenu de l’accord reste incertain, Rishi Sunak a néanmoins assuré au parti unioniste irlandais qu’il était parvenu à convaincre de la Commission un contrôle de Westminster sur le niveau de TVA et du régime des aides d’Etat applicables en Irlande du Nord. Dans le protocole existant, les règles qui s’appliquent à l’Irlande du Nord en la matière sont celles de l’UE.
Pour rappel, le protocole nord-irlandais fait partie du EU Withdrawal Act de 2018. Afin d’éviter de rétablir une frontière physique entre l’Irlande et l’Irlande du Nord après la Brexit, ce protocole prévoit que les contrôles sur les biens sont effectués entre l’Irlande du Nord et le Royaume-Uni. En contrepartie, certaines règles de l’UE sur le marché intérieur et l’union douanière continuent de s’appliquer à l’Irlande du Nord.
Les unionistes estiment que le protocole crée un “déficit démocratique”, car des règles de l’UE s’appliquent à l’Irlande du Nord alors que le pays est absent du processus décisionnel qui les produit. La CJUE est compétente pour les différends qui touchent au droit européen, ce qui est également critiqué par le DUP.
Rishi Sunak s’est engagé à améliorer la situation avec la Commission. La marge de manœuvre du premier ministre est cependant limitée par les exigences du DUP, le scepticisme des conservateurs eurosceptiques, ainsi que l’approche d’élections locales début mai.
UKRAINE • Un an jour pour jour après l’invasion russe en Ukraine, le Conseil est parvenu à un accord politique sur le dixième train de sanctions contre la Russie. Le Conseil prévoit l’ajout de 121 individus et entités à la liste des sanctions de l’UE, dont trois banques qui seront exclues du système de messagerie bancaire SWIFT — Alfa-bank, Rosbank et Tinkoff Bank.
Les Etats membres ont cependant eu des difficultés à finaliser le paquet de sanctions. En cause, un désaccord concernant l’interdiction progressive de caoutchouc synthétique russe utilisé dans l’industrie des pneus. La Pologne estimait que le quota d’importation de caoutchouc était trop élevé, ce qui n’était pas le cas de l’Italie ou l’Allemagne.
Si les demandes de la Pologne sur le caoutchouc n’ont pas été accommodées, l’Etat membre a néanmoins réussi à négocier des sanctions plus sévères sur les individus impliqués dans la déportation illégale d’enfants ukrainiens. “This was our top priority”, a expliqué Andrzej Sados de la représentation permanente de la Pologne à l’UE, à Politico.
TIKTOK • Plus de 30 000 abonnés en moins pour TikTok. Les fonctionnaires de la Commission, du Conseil, et du Service européen d’action extérieure (SEAE) ont jusqu’au 15 mars pour désinstaller l’application.
L’interdiction s’applique aux appareils professionnels, mais également aux appareils personnels lorsqu’ils contiennent des applications utilisées à des fins professionnelles. L’application – et son propriétaire chinois ByteDance — est régulièrement critiquée comme cheval de Troie numérique du Parti communiste. Tiktok compte 125 millions d’utilisateurs au sein de l’UE .
EU ETS • Le 21 février, le prix des quotas d'émission de carbone de l'UE (EUA) a atteint le niveau record de 101,25 euros par tonne métrique de CO2. Selon le FT, ce prix record n'est pas que symbolique, puisqu'il commence enfin à faire une réelle différence dans le comportement des entreprises. Toutefois, les industriels préviennent qu'une augmentation du prix du carbone affectera la compétitivité du secteur manufacturier de l'UE à un moment où l'économie de l'Union est très fragile.
Lancé en 2005, l’EU ETS — EU Emission Trading Scheme — repose sur un mécanisme de plafonnement et d'échange qui couvre actuellement les émissions des installations industrielles à forte intensité d'énergie et de carbone, ainsi que les émissions générées par l'aviation. Au total, environ 36 % des émissions totales de gaz à effet de serre de l'UE sont soumises à cet instrument de marché.
Le prix du carbone dans le cadre de l’EU ETS a eu du mal à dépasser la barre des 30 euros/tonne de CO2 pendant la majeure partie de son historique. C'est pourquoi la Commission souhaite réviser le système d'échange dans le cadre de son paquet "Fit for 55". Pour parvenir à une réduction de 43 % par rapport aux niveaux de 2005 des émissions des secteurs couverts par l’EU ETS, la Commission se concentre sur trois points :
une réduction accélérée du nombre total de quotas annuels disponibles pour les entreprises (augmentant ainsi le prix de ces quotas),
des règles ciblées pour faire face à la menace de fuite de carbone dans les secteurs sensibles de l'économie, et
la création de deux fonds (qui recevront une partie de l'argent provenant de la vente des quotas européens) pour financer l'innovation en matière de solutions de rechange à faible émission de carbone pour les secteurs de l'industrie et de l'électricité couverts par l’EU ETS.
Nos lectures de la semaine
Le CEPR a publié un livre (dont l'accès en ligne est gratuit) pour marquer les trente ans qui se sont écoulés depuis la crise du MCE. Edité par Giancarlo Corsetti, Galina Hale et Beatrice Weder di Mauro, les contributions qu'il rassemble devraient participer à la compréhension de l'architecture et l'histoire de la monnaie unique, ainsi que de ses perspectives d'avenir.
Une étude de Lennard Welslau et Georg Zachmann pour Bruegel parvient à la conclusion que, contrairement à ce que suggèrent les travaux menés par la Commission, la dépendance de l’Union à un nombre limité de fournisseurs continue de s’accroître dans certains secteurs d’importations stratégiques, notamment celui de l'électronique de haute-technologie.
Une excellente plongée dans les coulisses de la BCE sous Christine Lagarde par Eric Albert dans M., le Magazine du Monde.
Cette édition a été préparée par Clément Albaret, Mark Soler, Gabriel Papeians de Morchoven, Maxence de la Rochère et Augustin Bourleaud. À lundi prochain !