Karlsruhe donne son feu vert à NGEU
Mais aussi — Qatar, Eurogroupe, Hongrie, Chine, Déforestation, Homoparentalité, Sanctions, TVA
Bonjour. Nous sommes le lundi 12 décembre 2022, et voici votre condensé d’actualité européenne pour démarrer la semaine. Ne gardez pas cette newsletter pour vous, partagez-la à vos collègues et amis ! N’hésitez pas non plus à nous suivre sur Twitter ou Linkedin.
Le Briefing
Le 6 décembre, la Cour constitutionnelle fédérale allemande — le Bundesverfassungsgericht — a donné son feu vert à Next Generation EU. La décision, rendue le 6 décembre, a été accueillie avec soulagement à Bruxelles, vu l’habitude des juges de Karlsruhe de mettre des bâtons judiciaires dans les roues des politiques économiques européennes.
CONTEXTE • À l'été 2020, les dirigeants européens se sont mis d'accord sur un fonds de relance phare de 800 milliards d'euros. Le 14 décembre 2020, le Conseil a créé le fonds de relance via un règlement ("EURI"), sur la base des pouvoirs d'urgence du Conseil en vertu de l'article 122 du TFUE — qui lui permet de contourner le Parlement européen. Le même jour, la décision sur les ressources propres ("ORD") a été votée, rendant légalement possible pour l’UE de s’endetter en commun.
Le fait de permettre à l'UE de se lancer dans l'emprunt constituait un changement radical à Berlin. En vertu des traités, l'UE n'a pas de compétence pour contracter des emprunts par elle-même, conformément à l'article 311 du TFUE. L'argent de l'UE provient soit des contributions de ses États membres, soit de ses "ressources propres", comme la TVA. Lorsque l'UE s'est endettée pendant la crise financière, elle l'a fait avec le soutien de ses États membres — autrement dit, l'UE elle-même n'était pas un acteur du marché obligataire, ses États membres l'étaient. Rompant avec le passé, NGEU devait être composé à la fois de prêts et de subventions, et être financé par des emprunts à l'échelle de l'UE, faisant instantanément de l'Union européenne un "nouveau gorille sur le marché obligataire" selon les mots du New York Times.
Le TFUE comporte une clause de "non-renflouement". L'article 125 du TFUE interdit aux États membres d'assumer la responsabilité des dettes d'autres États membres — autrement dit, l'Allemagne ne devrait pas payer la facture de l'Italie ou de la Grèce. Dans le cadre de NGEU, l'Italie devait toutefois recevoir la somme colossale de 200 milliards d'euros — soit plus que la part italienne du plan Marshall en euros d'aujourd'hui — tandis que les autres États membres devaient être des contributeurs nets au fonds de relance.
APPEL • En décembre 2020, le Conseil a voté la décision relative aux ressources propres, faisant ainsi de NGEU une réalité. La base juridique du fonds de relance, son caractère redistributif et l'augmentation de la puissance de feu budgétaire de l'UE étaient autant d'éléments déclencheurs pour certains groupes politiques allemands, qui n'hésitent jamais longtemps avant de porter leurs griefs contre des textes européens devant la Cour constitutionnelle allemande. ustice.
L’association politiques Buendnis Buergerwille a porté la décision sur les ressources propres (ORD) devant Karlsruhe. En avril 2021, les plaignants réussissent à bloquer temporairement la ratification de NGEU par le Président Fédéral Steinmeiern qui était sur le point de signer. Cela a eu pour effet de retarder le versement des fonds NGEU aux pays frappés par la crise, alors que l'Allemagne distribuait elle-même en masse des aides d’état à ses propres entreprises.
La Cour constitutionnelle allemande ne recule pas non plus devant les conflits avec le juge de Luxembourg. Dans la saga du PSPP — qui concernait le programme d'achats d’obligations souveraines par la BCE — Karlsruhe a attaqué de front la BCE et la Cour de justice, déclarant que la plus haute juridiction de l'UE avait agi au-delà de ses pouvoirs (ultra vires). Les juges constitutionnels allemands appuient donc sur la gâchette judiciaire lorsqu'ils estiment que l'UE va au-delà de ce que les traités européens lui permettent de faire. Ce faisant, ils entendent protéger l'identité constitutionnelle de l'Allemagne.
VERDICT • Dans leur décision du 6 décembre, les juges allemands estiment que l'émission d'une dette mutuelle pour lutter contre le Covid-19 est compatible avec le traité de l'UE, précisément parce que NGEU est temporaire et que les fonds sont "utilisés exclusivement pour des tâches pour lesquelles l'Union européenne est compétente" (notre trad).
Cette décision a été accueillie avec soulagement à Bruxelles, mais l'approbation de Karlrushe est assortie de conditions. Si les emprunts exceptionnels ont reçu le feu vert, "en revanche, il serait manifestement inadmissible que l'Union européenne emprunte sur les marchés des capitaux pour assurer le financement général de son budget" (notre trad), affirme la Cour.
Le moins que l'on puisse dire, c'est que le langage de la Cour n'est pas enthousiaste. Karlsruhe a encore des doutes sur la légalité de l'utilisation de la dette commune pour financer des politiques liées au climat dans le cadre du NGEU et d'autres fonds généraux de l'UE qui n'ont "aucun rapport avec la pandémie de Covid-19".
Dans l'ensemble, "si la décision n'est pas aussi contraignante que certains auraient pu le craindre, elle ne donne pas carte blanche à une capacité fiscale européenne plus permanente", estiment Thu Nguyen et Martijn van den Brink sur Verfassungsblog. Georg Riekeles et Philipp Lausberg, du European Policy Center, ont récemment plaidé en faveur d'une "une capacité budgétaire permanente de l'ordre de 1 000 milliards d'euros (...) financée par des emprunts communs de l'UE" pour relever les plus grands défis à venir. Karlsruhe ne se laissera pas faire aussi facilement.
"Le ton de la décision n'est pas toujours aussi conciliant que le résultat le suggère, et il n'est pas certain que la Cour soit aussi indulgente dans ses conclusions la prochaine fois qu'un instrument tel que NGEU se retrouvera devant elle. En particulier, le jugement soulève certaines questions en ce qui concerne d'autres instruments prévus, tels que REPowerEU", soulignent Nguyen et van den Brink.
Inter alia
QATAR • Plusieurs personnes ont été inculpées pour corruption au cours du week-end, dont Eva Kaili, l'une des quatorze vice-présidents que compte le Parlement européen. L'affaire implique un ancien député européen italien, des assistants parlementaires, le secrétaire général de la Confédération syndicale internationale (CSI), le propre partenaire de Mme Kaili, des ONG de défense des droits de l'homme — mais pas cette newsletter, bien que nous soyons ouverts aux sponsorships.
Ils sont tous accusés d'avoir encaissé de l'argent pour défendre le Qatar avant la Coupe du monde. Eurodéputée grecque du groupe Socialistes & Démocrates, Kaili a publiquement défendu les progrès du Qatar en matière de droit du travail et plaidé pour une libéralisation des visas avec le deuxième exportateur mondial de gaz naturel liquéfié. Inutile de dire que la position ferme du S&D sur les mauvais résultats de la Hongrie en matière d'État de droit en pâtira.
EUROGROUPE • Paschal Donohoe a été réélu à la présidence de l'Eurogroupe le 5 décembre. Il effectuera un second mandat de deux ans et demi, après avoir été élu pour la première fois en juillet 2020. Le même jour, l'Eurogroupe a publié une déclaration sur les projets de plans budgétaires pour 2023, dans le cadre du semestre européen. En particulier, “L'Eurogroupe partage l'avis de la Commission selon lequel tous les États membres devraient retirer progressivement les mesures (de crise énergétique) à mesure que les pressions sur les prix de l'énergie diminuent” (notre trad).
HONGRIE • Lors d'une réunion des ministres des finances de l'UE le 6 décembre, la Hongrie a bloqué un paquet d'aides de 18 milliards d'euros pour l'Ukraine. En conséquence, la Commission et les autres États membres ont commencé à travailler sur un éventuel système de financement alternatif pour l'Ukraine, qui ne nécessiterait pas l'approbation de la Hongrie mais pourrait prendre plus de temps pour voir le jour. "Nous devons effectuer un premier paiement le mois prochain pour que l'Ukraine puisse survivre à l'hiver. Il n'y a pas d'alternative" (notre trad), a déclaré le président exécutif de la Commission, Valdis Dombrovskis.
De nombreux pays pensent que la Hongrie utilise son droit de veto pour pousser le Conseil à dégeler la part hongroise — de 5,8 milliards d'euros — du fonds de relance Covid-19 de l'UE. Le Conseil a jusqu'au 19 décembre pour se prononcer sur le maintien ou non des fonds. Si Budapest ne parvient pas à convaincre les autres capitales de l'UE de dégeler les fonds de relance, elle pourrait perdre 70 % de sa part.
CHINE • Le 7 décembre, la Commission a annoncé avoir demandé la mise en place de groupes spéciaux à l'Organisation mondiale du commerce, en réponse à deux différends commerciaux avec la Chine que des discussions bilatérales n'ont pas permis de régler. Le premier concerne le de facto embargo commercial imposé par le géant asiatique à la Lituanie, en réaction à la position de l’État balte sur Taïwan.
La Chine est accusée d'avoir mis en place un ensemble de mesures coercitives visant les exportations lituaniennes. Le deuxième litige est relatif aux actions présumées de Pékin visant à empêcher les entreprises européennes de recourir à des tribunaux étrangers pour protéger leurs brevets, grâce à l'utilisation d’"injonctions anti-poursuites" par les tribunaux chinois, qui brandissent la menace de lourdes sanctions financières.
La première étape du processus de l'OMC consiste en des consultations entre les deux parties, qui laisseraient peu d’espoir de trouver une issue au conflit. Selon la Commission, un groupe spécial devrait être constitué le 30 janvier 2023 au plus tard ; la procédure pourrait durer jusqu'à un an et demi.
DÉFORESTATION • Le Parlement et le Conseil sont parvenus à un accord politique provisoire sur un règlement relatif aux chaînes d'approvisionnement exemptes de déforestation. La proposition vise à garantir que les marchandises — principalement des produits de base essentiels tels que le caoutchouc, le soja et le bétail — vendues dans l'UE ou exportées depuis celle-ci "ne contribuent plus à la déforestation" ou à la dégradation des forêts.
Les nouvelles règles imposeraient de lourdes obligations de diligence aux entreprises européennes, allant du respect de la législation locale à la collecte d'informations géographiques précises sur l'origine de leurs produits. Cette législation est appelée à évoluer, les législateurs européens ayant indiqué que la liste des produits et des régions sujettes à la déforestation sera régulièrement examinée et mise à jour.
PARENTALITÉ • Le 7 décembre, la Commission a présenté une proposition de 65 pages concernant un règlement du Conseil visant à harmoniser les règles de droit international privé relatives à la parentalité. L'initiative, soutenue par le Conseil et le Parlement dans le cadre de la stratégie européenne pour les droits de l'enfant et l'égalité LGBTIQ, vise à garantir que la parentalité dans un État membre soit reconnue dans tous les autres États membres.
Les parents d'un pays de l'UE bénéficieraient donc de tous les droits connexes auxquels ils auraient pu prétendre en vertu du droit national, notamment en ce qui concerne la succession, la garde ou le droit des parents d'agir en tant que représentants légaux de l'enfant. La Commission espère que ces règles, sans empiéter sur la compétence des pays à légiférer en la matière, renforceront la protection des couples de même sexe et les droits des parents dans toute l'UE.
SANCTIONS • La Commission propose un 9ème paquet de sanctions contre la Russie. Les restrictions toucheraient une liste étendue de près de 200 personnes et entités. Les sanctions limiteraient également les exportations de biens à double usage (pouvant être utilisés comme arme), de drones et de véhicules aériens sans pilote, ainsi que les activités de plusieurs organes de presse.
"This package comes on top of the full EU import ban on Russian seaborne oil that came into force this week. As well as the global oil price cap agreed between the G7", a déclaré la présidente de la Commission européenne, Ursula Von der Leyen, dans un récent communiqué de presse. Le paquet est actuellement examiné par les États membres de l'UE et devrait être adopté au plus tard au début de cette semaine.
TVA • La Commission a proposé une série de mesures visant à remanier le système européen de TVA, vieux de 30 ans. La numérisation devrait permettre de traquer la fraude intracommunautaire, qui représente 25 % de l'écart de TVA de 93 milliards d'euros, c'est-à-dire la différence entre les recettes de TVA escomptées et réelles.
Nos lectures de la semaine
Contre toute attente, l'industrie européenne résiste bien à la crise énergétique, soutient Martin Sandbu dans le Financial Times. Plutôt que de s’accrocher au mirage d’un retour au gaz bon marché, elle devrait s'adapter, pour mieux répondre aux besoins d'une économie décarbonée.
Charles Lichfield et Georg Riekeles, de l'EPC, ont rédigé un rapport sur les voies qui s’offrent à l'UE et aux États-Unis pour surmonter leurs différends commerciaux.
The Hungary Files: Untangling the political and economic knots - L'adoption du plan de relance hongrois (5,8 milliards d'euros) et des fonds de cohésion destinés à la Hongrie (7,5 milliards d'euros) par le Conseil sont deux dossiers intimement liés. L'institut Jacques Delors publie un Policy brief exposant tous les enjeux derrière ces dossiers.
Dans Palladium Magazine, Samo Burja ー rédacteur de l'excellent Bismark Brief ー interviewe Laibach, le groupe slovène vieux de plus de quatre décennies. Au menu : l'avenir de l'Europe, l'importance de la réplique la plus célèbre d'Orson Welles, et plus encore.
Cette édition a été préparée par Julie Houillon, Matteo Gorgoni, Battiste Murgia, Maxence de La Rochère et Augustin Bourleaud. À la semaine prochaine !