🛢️ ExxonMobil s’attaque à la taxe européenne sur les superprofits
Mais aussi — Un Conseil suédois, Subventions américaines et étrangères
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Le Briefing
Le géant pétrolier ExxonMobil attaque l’UE en justice pour faire annuler la taxation exceptionnelle des superprofits, comme l'a révélé le 28 décembre le Financial Times. ExxonMobil conteste la compétence de l’UE pour prendre un règlement sur la base de l’article 122(1) du TFUE.
SUPERPROFITS • Le règlement 2022/1854 du 6 octobre 2022 établit une “contribution de solidarité temporaire" sur les bénéfices imposables des entreprises actives dans le pétrole brut, le gaz naturel, le charbon et le raffinage établies dans l’UE.
Ce règlement a été pris au niveau européen pour soutenir les États membres souhaitant alléger le fardeau qu’a représenté l’explosion des prix de l’énergie au cours de l’année 2022. Concrètement, l’UE a mis en place une taxe à 33% sur les bénéfices excédant de plus de 20% les bénéfices générés entre 2018 et 2022. Cette contribution s’applique en plus des impôts et prélèvements obligatoires applicables dans chaque Etat membre de l’UE.
ART. 122 TFUE • L’UE ne peut légiférer sans base légale. Chaque nouvelle législation doit prendre appui sur un article spécifique du TFEU qui lui donne compétence pour intervenir.
Le règlement 2022/1854 a pour base légale l’article 122(1) TFEU, qui permet au Conseil de décider à la majorité qualifiée, sur proposition de la Commission “des des mesures appropriées à la situation économique, en particulier si de graves difficultés surviennent dans l'approvisionnement en certains produits, notamment dans le domaine de l'énergie”.
L’article 122 permet donc de contourner le Parlement européen et la procédure législative ordinaire pour prendre des mesures d’urgence. Il s’agit un peu d’un article 49.3 européen.
De nombreux textes importants ont été pris sur cette base légale depuis le début de la pandémie de Covid-19.
Le règlement établissant un instrument de soutien temporaire en situation d’urgence (SURE), au début de la pandémie
Le règlement établissant le fonds de relance Next Generation EU (NGEU)
La majorité des règlements d’urgence en matière énergétique
PRÉCÉDENTS • L’UE ne peut utiliser l’article 122, et s’expose à un risque juridique en cas de mauvaise utilisation de ses pouvoirs. Pour ne pas être susceptibles d’être annulées par le juge, les législations prises sur ce fondement doivent être:
des mesures exceptionnelles
des mesures temporaires
des mesures de “politique économique”
Le fait que l’UE ait compétence pour légiférer via ces pouvoirs d’urgence ne coule pas de source. Le Conseil de l’UE s’était livré en 2020 à une analyse détaillée – un avis de 68 pages – sur l’aptitude de l’article 122 à servir de base juridique à NextGenEU. Enfin, la Cour constitutionnelle fédérale allemande a rendu un jugement le 6 décembre, considérant que l’UE n’avait pas agi au-delà de ses compétences (ultra vires) en utilisant l’article 122 comme base légale pour NGEU.
EXXON c. UE • Revenons à Exxon. Le major pétrolier demande aux tribunaux européens de casser le règlement sur les “superprofits” pour défaut de base légale.
L’article 122(1) prévoit expressément que l’UE peut prendre des mesures d’urgence “en particulier si de graves difficultés surviennent dans l'approvisionnement en certains produits, notamment dans le domaine de l'énergie”.
ExxonMobil conteste que la “contribution de solidarité temporaire” soit véritablement une mesure de “politique économique”.
Le premier point n'est pas controversé. Les ruptures d'approvisionnement en énergie sont expressément mentionnées dans l’article 122(1). En outre, la liste des situations pouvant être considérées comme "exceptionnelles" ne se veut pas exhaustive.
Le second l’est nettement plus.
Base fiscale, taux, assiette…tout ce vocabulaire fait penser à s’y méprendre une taxe.
La fiscalité dépend d’un autre chapitre du TFUE que les politiques économiques, l'unanimité y est la règle (et non la majorité qualifiée).
Exxon tentera de convaincre le Tribunal que déguiser une "contribution de solidarité temporaire" en politique économique ne peut tout simplement pas faire l'affaire et doit être annulé.
WHAT NEXT • Il n’est pas donné qu’ExxonMobil soit autorisé à contester le règlement devant le Tribunal de l’UE. Le test juridique pour avoir intérêt à agir en contestation d’un règlement européen est très difficile à satisfaire pour des individus ou des entreprises.
Si ExxonMobil est autorisé à contester le règlement, cela donnera aux tribunaux européens l'occasion de se prononcer sur les limites de l'utilisation par l'UE de ses pouvoirs d'urgence.
Si Exxon convainc le Tribunal que le règlement adopté en vertu de l'article 122 est une mesure fiscale et non une mesure de politique économique, l'ensemble du règlement pourrait être annulé.
Inter alia
UN CONSEIL SUEDOIS • Le 1er janvier, la présidence du Conseil de l’UE a été transférée à la Suède, après que la République tchèque a achevé sa rotation de six mois. Cette fonction confère au pays un rôle clé pour guider les avancées du Conseil en matière de législation européenne. La Suède a déjà défini ses priorités : la sécurité apparaît en tête de liste, suivie de la compétitivité, de la transition énergétique et de l'État de droit.
La couleur exacte de la présidence suédoise n'est toutefois pas encore claire. Au sein du pays, Ulf Kristersson, le Premier ministre fraîchement élu, dépend des Démocrates suédois (SD) — parti eurosceptique d'extrême droite — pour sa majorité parlementaire.
Ce parti est connu pour sa position très ferme sur l'immigration, ainsi que pour son indulgence à l'égard de Viktor Orban et ses écarts sur l'État de droit — deux sujets d’importance capitale pour le Conseil, qui tente actuellement de dénouer la situation avec la Hongrie et qui devra pendant les prochaines mois se pencher sur le Pacte sur les migrations et l'asile.
SUBVENTIONS AMÉRICAINES • La loi sur la réduction de l'inflation (IRA) de Biden — un plan de 369 milliards de dollars qui cause des cauchemars aux fonctionnaires européens depuis des mois — est (presque) prête à entrer en vigueur.
Cette loi vise à favoriser la transition énergétique aux États-Unis et à réduire la dépendance à l'égard de la Chine, notamment grâce à des crédits d'impôt pour les véhicules électriques produits aux États-Unis.
L’UE s’inquiète quant à l'impact de l'IRA sur l'industrie européenne et a fait part de ses préoccupations, notamment par le biais d'un groupe de travail États-Unis-UE sur la question. Jusqu'à présent, les résultats ont été mitigés : Biden a tardivement reconnu les préoccupations de l'UE, et le Congrès reste campé sur ses positions.
La semaine dernière, le département du Trésor américain a cependant publié un livre blanc présentant une position plus compréhensive envers l'UE. Ce document traite du pourcentage de composants — en matière de minéraux critiques et de batteries — nécessaires pour bénéficier du nouveau crédit pour les véhicules électriques. Selon ce livre blanc, les États-Unis adopteront une définition plus large des pays avec lesquels les États-Unis ont un "accord de libre-échange" afin d’inclure les pays de l'UE.
Le département du Trésor a également publié des détails sur une taxe distincte pour les véhicules électriques commerciaux — c’est-à-dire les véhicules destinés à la location, et non les véhicules neufs destinés à la vente. Cela pourrait permettre aux fabricants européens d'avoir accès au marché américain du leasing. La Commission a salué cette initiative, mais reste préoccupée par le principal crédit d'impôt de 7 500 dollars américains qui requiert que les voitures soient assemblées aux États-Unis, au Canada ou au Mexique. Le département du Trésor devrait fournir de nouvelles orientations sur ce sujet en mars.
SUBVENTIONS ÉTRANGÈRES • Fin décembre 2022, le nouveau règlement de l'UE sur les subventions étrangères faussant le marché intérieur (FSR) est entré en vigueur.
Le texte vise à répondre à un vide juridique. Par le passé, les biens subventionnés par des pays non-membres de l’UE pouvaient être frappés par des droits anti-dumping, mais les investissements directs ou les procédures de passation de marchés publics n’étaient pas couverts. Pour les États membres de l’UE, des règles strictes en matière d'aides d'État s’appliquent, mais le droit des aides d’État n’a pas de dimension extra-territoriale.
Les subventions étrangères qui ont pour effet de permettre à des sociétés de proposer des prix très élevés pour des cibles ou à des soumissionnaire à des marchés publics de proposer des prix très bas restait en dehors du champ d’application des instruments existants. Ce vide juridique était devenu une préoccupation grandissante à l’heure du Covid-19, lorsque de nombreuses entreprises pouvaient être rachetées par une bouchée de pain en bourse.
Les entreprises devront notifier les contributions financières qu'elles reçoivent d'organismes publics extra-européens lors de concentrations (M&A) ou de passations de marchés publics.
La Commission pourra également lancer des enquêtes de marché lorsqu'elle soupçonne que certaines subventions étrangères faussent le marché intérieur. La Commission aura alors le pouvoir de corriger les distorsions là où elles se trouvent, en utilisant des remèdes inspirés des procédures antitrust.
Nos lectures de la semaine
Politico a publié un guide de l'agenda de la présidence suédoise du Conseil de l'UE.
Dans le Financial Times, Marton Dunai et Martin Arnold rendent compte de l’état de préparation de la Croatie pour son adoption officielle de la monnaie unique.
Pour le Social Science Research Network (SSRN), Dr Lena Hornkolh décrit précisément les tenants et aboutissants du nouveau règlement sur les FSR et évalue la portée et l'efficacité de celui-ci.
Cette édition a été préparée par Maxence de La Rochère et Augustin Bourleaud. À la semaine prochaine !