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Focus — fraîchement nommée, Liz Truss se positionne sur le Brexit
La liste des défis s’allonge pour la nouvelle première ministre britannique, Liz Truss. La rentrée 2022 est marquée par le risque d’une récession économique, une inflation galopante, une livre sterling en chute vertigineuse, et des mouvements de grève à répétition, mobilisant aussi bien les cheminots que les avocats. Cherry on the top, le nouveau gouvernement est très attendu sur la question de l’avenir des relations post-Brexit avec l’UE.
SERPENT DE MER • Le Protocole Nord Irlandais, qui régit les relations post-Brexit entre Dublin, Belfast et Londres, est critiqué par l’exécutif britannique depuis son entrée en vigueur en 2021.
Après de nombreux échanges infructueux avec Bruxelles, le gouvernement de Boris Johnson avait menacé d’invoquer l’article 16 du Protocole permettant de suspendre unilatéralement son application. Liz Truss, alors ministre des affaires étrangères, avait déposé un projet de loi détricotant le Protocole le 13 juin 2022 — une initiative sévèrement critiquée par Bruxelles. Son arrivée au 10 Downing Street n’a donc pas rassuré les européens.
IMPASSE • À l’approche du 25ème anniversaire du Good Friday Agreement, Londres est sous pression, forcée de trouver une solution rapide aux blocages persistants. De son côté, Belfast n’a toujours pas de gouvernement et le Palais du Stormont reste bloqué par les unionistes, férocement opposés aux contrôles douaniers qui existent de facto en mer d'Irlande depuis l’entrée en vigueur du Protocole.
À Westminster, Liz Truss semble continuer à défendre le projet de loi dénonçant unilatéralement le Protocole. Cependant, ses récentes discussions avec Ursula Von der Leyen et Joe Biden pourraient la pousser à retourner à la table des négociations. Washington a notamment déclaré qu’aucun accord commercial avec Londres ne serait envisageable tant que le problème Nord Irlandais n’était pas réglé.
LE GRAND NETTOYAGE • En parallèle, Londres semble maintenir sa politique de hard Brexit, y compris sur le plan juridique. Le gouvernement britannique a présenté le 22 septembre dernier un projet de loi visant à examiner, d’ici à fin 2023, le droit hérité de l’UE et resté en vigueur depuis le Brexit (Retained Law).
Affiché comme un projet d’émancipation et de reconquête de libertés, le texte permettrait à Londres de réformer, remplacer ou abroger chacune des normes juridiques européennes. Ces réformes, qui pourraient notamment avoir un impact sur la protection de l’environnement ou encore les droits des travailleurs, font écho à l’agenda dérégulateur de la nouvelle Première ministre et de son chancelier de l’Echiquier, Kwasi Kwarteng.
L’empressement de Londres et l’envergure des réformes attendues laissent présager des risques de vide ou d’incertitude juridique.
Enfin, les britanniques continuent de dénoncer la compétence de la CJUE sur le commerce avec l’Irlande du Nord, restée dans le marché unique européen. Le projet de loi du 22 septembre dernier propose donc également de restaurer la souveraineté juridique britannique sur tout le territoire, y compris à Belfast.
À SUIVRE • Dans ce contexte de tensions, l’ouverture de Liz Truss quant au projet de la Communauté politique européenne (CPE) rassure les européens sur les perspectives d’avenir d’une coopération resserrée avec les britanniques. Londres avance donc ses pions un à un, forçant Bruxelles à rester sur le qui vive.
In Case You Missed It — Giorgia, Mateus, Viktor, Vladimir, pantouflage
ITALIE MELONI • La coalition de droite ayant remporté triomphalement les élections nationales du 25 septembre, Giorgia Meloni, chef du principal parti politique Frères d'Italie, remplacera très certainement Draghi en tant que première présidente du Conseil de l'histoire du pays. L'Italie est désormais dans le ligne de mire pour ceux, nombreux à Bruxelles, qui craignent une coupure avec l’ère Draghi.
Les membres de la nouvelle coalition sont enracinés dans des traditions bien établies de souverainisme anti-européen. "Nous sommes confrontés à l'attaque la plus puissante et la plus violente contre les gouvernements de nations souveraines qui s'opposent à la dictature de l'idéologie politiquement correcte", avait déclaré Meloni, critiquant la réponse de l'UE aux reculs démocratiques de la Hongrie et de la Pologne. En tant que présidente du parti conservateur et réformateur européen (ECR), cette dernière devrait gagner en influence dans les négociations institutionnelles à Bruxelles.
Meloni a néanmoins adouci sa rhétorique. Ce positionnement ambigu découle de l’idée que se mettre à dos l'UE et isoler l'Italie ne profitera pas au pays, qui se débat déjà avec des faiblesses économiques et des vulnérabilités énergétiques. "Je veux une Europe qui fait moins de choses et qui les fait mieux, avec moins de centralisme, plus de subsidiarité, moins de bureaucratie et plus de politique. Nous ne sommes pas du tout contre l'Europe, mais pour une Europe plus efficace", a-t-elle récemment déclaré.
La sécurité nationale, les migrations et les positions conservatrices sur les droits civils figureront certainement en bonne place dans l'agenda du gouvernement. Des partisans de la ligne dure comme Salvini pourraient toutefois compromettre son unité à Bruxelles, notamment sur le soutien à l'Ukraine et le maintien des sanctions contre la Russie. Seuls les faits permettront de déterminer si le réalisme, le pragmatisme et la prudence limiteront les pulsions eurosceptiques du gouvernement.
RÉACTIONS NUCLÉAIRES • Le 21 Septembre, Vladimir Putin a franchi un nouveau cap, laissant entendre qu’il était prêt à utiliser “tous les moyens nécessaires” — y compris l’arme nucléaire — pour défendre son pays dans le cadre de la guerre en Ukraine. Au sein de l’UE, ces menaces ont ravivé les demandes de nouvelles sanctions sur les oligarques russes.
“We will not be intimidated”, a déclaré Josep Borrell, Haut représentant de l’UE pour les affaires étrangères — affirmant que des mesures supplémentaires à l’encontre de la Russie seraient mises sur la table immédiatement. Le soir-même, les ministres des affaires étrangères des pays membres de l’UE se réunissaient à New-York en marge de l’assemblée générale de l’ONU afin de considérer de nouvelles sanctions. Celles-ci pourraient inclure un prix plafond sur le pétrole russe — une mesure déjà suggérée par le G7 au début du mois — ainsi que des mesures ciblées sur certains secteurs.
REVOLVING DOORS • La Commission européenne veut limiter le pantouflage. Selon le FT, l’exécutif européen entend restreindre la possibilité pour les fonctionnaires de la Commission de se mettre en disponibilité afin de rejoindre des groupes privés tout en conservant un poste à la Commission à leur retour. Ces aller-retours entre public et privé — qui font naître de nombreux soupçons de conflits d’intérêt — sont également dans le viseur de la médiatrice européenne Emily O’Reilly et du Parlement européen.
En mai 2022, le médiateur européen a publié un rapport sur le sujet, dans lequel la gestion du pantouflage était considérée comme étant à un "stade critique”. Des départs d’officiels de la DG Concurrence vers des grands cabinets d’avocats ont en effet suscité de nombreuses interrogations — certains ex-fonctionnaires intégrant dans des cabinets connus pour conseiller les Big Tech sur des textes qu’ils avaient eux-mêmes rédigés.
LA POLOGNE EN ROGNE • Le 20 Septembre, le Premier Ministre Polonais Mateusz Morawiecki a déclaré que la Pologne s'opposerait formellement à la proposition de la Commission européenne visant à priver la Hongrie de fonds européens. Morawiecki, dont le gouvernement est également dans le collimateur de Bruxelles au sujet de l'État de droit, a décrit le projet de la Commission comme une tentative de "priver illégalement" la Hongrie de fonds européens.
Le soutien de Varsovie au gouvernement de Viktor Orbán fait suite à un rapport du Parlement européen décrivant la Hongrie comme un "régime hybride d'autocratie électorale". Suite aux propositions de la Commission, Janusz Kowalski, un vice-ministre du gouvernement polonais, a averti dans un tweet que la Pologne pourrait devenir la prochaine cible de la "privation illégale de fonds".
Bien que la Hongrie soit le premier État membre à être visé par le mécanisme de conditionnalité de l'État de droit, la Commission a déjà retenu des fonds alloués à la Pologne dans le cadre du fond de relance Next Generation EU. En juin, le Conseil de l'UE a approuvé une série de "jalons" en matière d'État de droit, dont la réforme d'un régime disciplinaire judiciaire controversé, que Varsovie devrait mettre en œuvre pour recevoir l'argent.
Si une majorité qualifiée d'États membres soutient la dernière proposition de Bruxelles, la Hongrie perdra un tiers des 22 milliards d'euros de fonds de cohésion qu'elle doit recevoir jusqu'en 2027.
Nos lectures de la semaine
Pour Bruegel, Shahin Vallée, Daniela Schwarzer, Franz Mayer et Jean Pisani-Ferry expliquent comment la Communauté politique européenne peut servir de "pont vers une Union européenne peut-être plus grande et de cadre à un partenariat à l'échelle continentale".
Maurice Obstfeld, du PIIE, encourage les banques centrales à coordonner leurs actions, tandis qu'Adam Tooze se demande si cette époque exceptionnelle va amener un changement de paradigme.
Cette édition a été préparée par Marine Sevilla, Matteo Gorgoni, Maxence de La Rochère, Brian Ó’Donnaile, et Augustin Bourleaud. À la semaine prochaine !