Breton met les warnings sur la fin des moteurs thermiques
Mais aussi — Lula, Désaccords UE/USA, Olaf à Pékin, Giorgia à Bruxelles
Bonjour. Nous sommes le lundi 7 Novembre 2022, et voici votre condensé d’actualité européenne pour démarrer la semaine. Ne gardez pas cette newsletter pour vous, partagez-la à vos collègues et amis ! N’hésitez pas non plus à nous suivre sur Twitter ou Linkedin.
Inquiétudes sur la fin des moteurs à combustion
Le 27 octobre, le Conseil et le Parlement sont parvenus à un accord politique sur la fin de la vente de voitures à combustion sur le marché européen d'ici 2035 — le premier accord du paquet "Fit for 55" à se concrétiser. Le commissaire chargé du marché intérieur, Thierry Breton, n'a pas tardé à s’inquiéter des défis à venir dans ce qui pourrait être "la plus forte transformation industrielle qu’ait connue l’Union européenne".
DEAL • L'accord conclu par les deux co-législateurs vise à réduire les émissions de CO2 de 100% pour les voitures et les camionnettes neuves d’ici 2035. Une étape intermédiaire est également prévue en 2030, date à laquelle émissions moyennes des voitures neuves doivent être réduites de 55 % — et celles des camionnettes neuves de 50 %. Enfin, l'accord comporte une clause de réexamen : en 2026, la Commission évaluera les progrès accomplis et pourra éventuellement repousser l'échéance de 2035.
CLEPA • "The 100% target, the implicit ban on the internal combustion engine, is the most ambitious such target worldwide. We stand for climate-neutral mobility and stand ready to deliver the technologies to make climate-neutral mobility a reality. The most ambitious vehicle target will not succeed, if not accompanied by policies to ensure charging and refuelling infrastructure, green energy, access to raw materials and a just transition", a déclaré Benjamin Krieger, secrétaire général de l'Association européenne des fournisseurs automobiles (CLEPA), qui représente plus de 3,000 fabricants de pièces automobiles.
BRETON • Thierry Breton a partagé ses inquiétudes sur l'échéance de 2035 avec des médias européens. "I said that it was very important that we have a review clause (...) so that we have the time to react if it is necessary — because evidently, we are talking about a gigantic changeover of an entire industrial sector, in the largest sense", a-t-il déclaré à Politico. S'il souhaite que le passage des moteurs à combustion vers les voitures électriques soit un succès, il plaide pour une approche réaliste des défis qu'implique cette transition.
CONFUSION • Le commissaire a déjà annoncé la création d'un groupe de travail pour préparer l'échéance de 2026 avec les constructeurs automobiles, les associations de consommateurs, les villes et les opérateurs électriques. Chez les constructeurs, l'idée que l'échéance de 2035 pourrait être repoussée est plutôt déroutante, car beaucoup la croyaient définitive: “Nous expliquons depuis des mois aux PME et aux ETI que cette décision est définitive, et que tous doivent investir dans la nouvelle chaîne de valeur de l'électrique”, a rapporté Le Figaro, selon les dires d’un acteur du secteur.
EMPLOIS • Selon Breton, nombreux sont les problèmes à résoudre pour que la transition se fasse en douceur. Par exemple, le marché de l'emploi sera fortement affecté par le passage au tout électrique, ce qui nécessitera une planification minutieuse. Selon les estimations de la Commission, 600 000 emplois seront détruits pendant la transition, et les quelque 13 millions de personnes impliquées dans le secteur automobile pourraient en ressentir les conséquences.
VOITURES ÉLECTRIQUES • Mais les plus grands défis pourraient concerner ce qui va succéder aux moteurs à combustion, à savoir l'électricité. "Un véhicule électrique est actuellement 27% plus cher que son équivalent en carburant, ce qui correspond à une différence de 56 000 euros en moyenne", a expliqué Breton au journal Les Echos, insistant sur l'importance de rendre les véhicules électriques accessibles à tous.
Il a également souligné la nécessité de disposer de plus de métaux rares, d’augmenter le niveau de production d'électricité et de développer les infrastructures de recharge dans toute l'Europe — actuellement, 70 % de ces infrastructures sont situées en France, en Allemagne et aux Pays-Bas. En raison du poids des batteries, les véhicules électriques sont également plus lourds que les véhicules à moteur à combustion, ce qui signifie qu'ils usent plus rapidement les pneus et les freins — composants qui devront également être produits de manière plus écologique.
GOODBYE…? • “If the EU ends the sale of combustion engines after 2035 in Europe, this does not apply for the rest of the world. The European automotive ecosystem must remain present in this export market", avait tweeté Breton le 1er avril. Comme il le répète aujourd'hui, les constructeurs restent perplexes sur la façon dont produire sur le marché européen pour les marchés africains ou américains pourrait être économiquement bénéfique.
MAKE IT WORK • Face aux investissements considérables requis et à l’inflation des coûts, l'UE pourrait suivre le conseil de la représentante américaine au commerce. Au vue des récentes inquiétudes européennes sur les effets protectionnistes de l'Inflation Réduction Act (IRA), Katerine Tai suggéré à l’UE de se doter de son propre régime de subventions pour soutenir les voitures électriques. L'IRA, qui a été dévoilé cet été, pourrait favoriser considérablement l'industrie américaine des voitures électriques, notamment à travers des allégements fiscaux pour l'achat de voitures électriques produites aux États-Unis.
L’UE peut se servir du droit des aides d’état pour autoriser les États membres à dépenser plus d’argent public pour des projets ciblés. Au début de l'année, la Commission a adopté ses nouvelles lignes directrices sur les aides d'État en faveur du climat, de la protection de l'environnement et de l'énergie. Celles-ci visent à "créer un cadre souple et adapté pour aider les États membres à fournir le soutien nécessaire pour atteindre les objectifs du "Green Deal" de manière ciblée et rentable".
NEXT STEPS • L'accord politique provisoire obtenu lors des négociations en trilogue devra maintenant être formellement adopté par le Conseil et le Parlement.
Inter alia — Lula et l’Europe, Disputes Transatlantiques, Olaf à Pékin, Giorgia à Bruxelles
LULA • La victoire de Lula aux élections présidentielles brésiliennes du 30 octobre a été accueillie avec un soupir de soulagement par ceux qui espèrent que cette victoire ouvrira une nouvelle ère pour l’Amazon et le commerce avec l'Amérique du Sud. L'UE et les pays du Mercosur négocient un accord commercial depuis plus de vingt ans. Depuis 2019, les deux blocs se sont abstenus de sceller un accord, principalement en raison du programme proactif de déforestation de Bolsonaro et de l'insistance du Président Macron pour que l'accord commercial soit conforme à l'Accord de Paris.
Le positionnement social-écologique de Lula pourrait aider à obtenir un soutien au Parlement européen, où les alliés politiques de Lula ont tendance à ne pas voir les nouveaux accords commerciaux d’un bon œil. La guerre que la Russie livre aux portes de l'Europe et les tensions croissantes avec la Chine devraient également apporter des soutiens. Des États membres favorables aux accords commerciaux, à savoir la République tchèque, la Suède et l'Espagne, assurent également la présidence tournante du Conseil de l'UE jusqu’à 2024, ce qui pourrait contribuer également à mettre un accord en haut de l’agenda.
Cela étant dit, Lula a clairement indiqué que l’accord ne lui convenait pas en l’état, avec plus d’ouverture attendue côté européen en matière industrielle. Du côté de l'UE, les députés européens donneront du fil à retordre à la Commission si elle semble trop souple en matière de protection de l'environnement. En juin 2022, la Commission a publié un plan visant à renforcer davantage la mise en œuvre et l'application des chapitres relatifs au commerce au développement durable (CCD) dans les accords commerciaux de l'UE. Le paquet CCD inclut la possibilité d'appliquer des "sanctions commerciales en cas de violations importantes des accords de Paris sur le climat".
RIFIFI TRANSATLANTIQUE • L’Inflation Reduction Act (IRA) — et son cortège de généreux allégements fiscaux pour les voitures électriques Made in USA — ne fait pas plaisir à Bruxelles. La Commission a lancé une Task Force UE-USA le 26 octobre pour faire remonter les désaccords au plus haut niveau.
Le Financial Times rapporte que la Commission a déjà — dix jours après la première réunion transatlantique — envoyé ses commentaires au Trésor américain, s'en prenant aux réductions d'impôts et aux subventions assorties "d'exigences clairement discriminatoires en matière de contenu national, en violation des règles de l'OMC".
La Commission menace également de recourir à la force nucléaire : des "mesures de réciprocité ou de rétorsion" pourraient ainsi être prises. Le ministre allemand de l'économie, Robert Habeck, a déclaré : "Nous sommes en pourparlers avec les Américains pour ne pas déclencher une sorte de guerre commerciale maintenant, mais nous voyons quelle est la concurrence et nous devons trouver des réponses européennes à cela".
Dans une interview accordée au FT la semaine dernière, la représentante américaine au commerce, Katherine Tai, a défendu le paquet, affirmant que l'UE devrait également commencer à distribuer des fonds publics pour soutenir la transition écologique et se diversifier par rapport à la Chine.
OLAF À PÉKIN • Le chancelier allemand était en déplacement à Pékin le 3 novembre, pour la première visite en Chine d’un chef de gouvernement depuis l’adoubement de Xi Jinping pour un troisième mandat illimité à la tête de la République populaire de Chine.
Le chancelier voyageait accompagné des représentants des plus grandes entreprises allemandes — Volkswagen, BASF, Deutsche Bank, entre autres. De quoi nourrir les accusations selon lesquelles le Wandel durch Handel — la politique étrangère allemande du changement par le commerce — n’est pas enterrée malgré le précédent terrible des relations germano-russes. L’Allemagne a encore très récemment été accusée de naïveté stratégique par ses partenaires lors de l’autorisation par Berlin du rachat de 24,9% de l’un des terminaux du port de Hambourg par le géant chinois Cosco.
Ce voyage en solitaire met également de l’eau au moulin de Paris, qui accuse ces derniers mois Berlin de faire un peu trop cavalier seul. Emmanuel Macron avait signalé qu’un voyage commun à Pékin aurait été préférable. Le président français avait ainsi reçu Xi à Paris en 2019 flanqué d’Angela Merkel et de Jean-Claude Juncker.
Dans une tribune pour Bloomberg, Pankaj Mishra note les contradictions qui existent sur le rapport à la Chine : “Conflicting views on how to deal with Beijing exist at the highest policy-making levels of even a major Western democracy such as Germany. Scholz’s own foreign minister, Annalena Baerbock of the Green Party, does not approve of his visit to China. She regards the country as a “systematic competitor” and calls for “strategic solidarity with democratic partners” and “defending our values and interests together.”
Face à ses critiques, Olaf Scholz s’est fendu d’une tribune dans Politico où il défend une approche pragmatique de la Chine — à la fois partenaire, compétiteur, et rival systémique. Certaines dépendances stratégiques doivent être réduites certes, mais cela ne justifie pas à “découplage” selon le Chancelier. Scholz s’y défend également de toute attitude cavalière : “In the run-up to my visit, we have, therefore, liaised closely with our European partners, including French President Macron, and with our transatlantic friends”.
GIORGIA À BRUXELLES • La nouvelle Premier ministre italienne, Giorgia Meloni, a effectué son premier voyage officiel à Bruxelles le 3 novembre. Elle y a rencontré les dirigeants des principales institutions européennes, marquant ainsi la volonté du gouvernement d'entretenir des relations constructives avec ces dernières. "Nous ne sommes pas des martiens. Nous sommes de vraies personnes", a déclaré Meloni comme devise d'une tournée destinée à rassurer ceux qui craignent que son gouvernement ne soit radicalement souverainiste, eurosceptique et conservateur.
Au cours de cette journée, elle a multiplié les messages apaisants, indiquant que l'Italie maintiendra des relations de confiance, collaboratives et ouvertes au compromis avec les partenaires européens. Plusieurs sujets ont été abordés, notamment l'invasion russe de l’Ukraine, les questions migratoires et les 200 milliards d'euros prévus par l'UE pour financer le plan de relance et de résilience de l'Italie (PNRR). Meloni a en outre défendu une solution européenne à la flambée des prix de l'énergie, tel le plafonnement déjà discuté des prix du gaz, conformément à la position de l'ancien gouvernement. La prudente modération affichée par Meloni a été accueillie positivement à Bruxelles.
Toutefois, ce voyage symbolique ne met pas de côté les nombreux points de discorde entre l'UE et le nouveau gouvernement italien, notamment sur l’immigration et la renégociation du PNRR que la Commission rejette fermement. Tout en engageant son gouvernement à coopérer sincèrement avec l'UE, Meloni a clairement indiqué que les intérêts nationaux de l'Italie seront défendus avec fermeté au niveau européen.
Nos lectures de la semaine
Luigi Scazzieri, du CER, synthétise l'état d'avancement des candidatures à l'adhésion à l'UE et nous rappelle pourquoi l'élargissement est devenu un sujet de discorde entre les États membres actuels.
André Sapir, pour Bruegel, et Lucian Cernat, pour l'ECIPE, écrivent tous deux sur le rôle de la mondialisation dans l'économie politique européenne contemporaine.
De son côté, dans son analyse du voyage du chancelier Olaf Scholz en Chine, publiée dans le Financial Times, Martin Sandbu expose à la fois la difficulté et la nécessité d'articuler politique commerciale et objectifs stratégiques.
Cette édition a été préparée par Matteo Gorgoni, Maxence de La Rochère et Augustin Bourleaud. À la semaine prochaine !